Énoncé
Le théorème π ou théorème de Vaschy-Buckingham est le théorème fondamental de l'analyse dimensionnelle.
Supposons que nous cherchions une relation entre \(n\) grandeurs physiques \(g_{i=1..n}\) que l'on considère pertinentes pour décrire un phénomène. Notons \(k\) le nombre de dimensions fondamentales utilisées par ces grandeurs (\(k\leq7\)).
Le théorème stipule qu'il existe alors \((n-k)\) produits sans dimension notées \(\pi_{i}\) tels que \(f(\pi_{1},...,\pi_{n-k})=0\).
Ainsi, procéder à une analyse dimensionnelle consiste à déterminer ces nombres sans dimensions, ce qui ne pose pas de problème en général. Une fois ces nombres définies, le problème se ramène alors à une relation entre grandeurs adimensionnées. Cette dernière fait apparaître une constante ou une fonction à déterminer empiriquement. Ainsi, lorsque le problème est trop complexe pour une modélisation, l'analyse dimensionnelle est un guide précieux avant toute analyse empirique.
Applications en mécanique des fluides
Force de traînée sur une sphère
Plaçons un obstacle sphérique dans un écoulement stationnaire de vitesse \(\overrightarrow{v}_{\infty}\) loin de l'obstacle et cherchons la force de traînée \(\overrightarrow{F}\) que produit l'écoulement sur l'obstacle. Que donne l'analyse dimensionnelle ?
L'expérience montre que cette force est influencée par les facteurs suivants :
- le diamètre \(d\) de la sphère ;
- la masse volumique \(\rho\) du fluide ;
- sa viscosité \(\eta\) ;
- ainsi que la vitesse d'écoulement \(v_{\infty}\).
Rassemblons dans un tableau la dimension des cinq grandeurs que l'on cherche à relier :
Grandeurs | \(v_{\infty}\) | \(d\) | \(\rho\) | \(\eta\) | \(F\) |
---|---|---|---|---|---|
Dimensions | LT-1 | L | ML-3 | ML-1T-1 | MLT-2 |
On a \(n=5\) grandeurs et \(k=3\) dimensions différentes. D'après le théorème \(\pi\), il existe \(n-k=2\) nombres sans dimensions \(\pi_{1}\) et \(\pi_{2}\) liés entre eux. Il est facile de construire de tels nombres :
- On sait que le nombre de Reynolds est un facteur adimensionné. On choisit donc \[ \pi_{1}=R_\text{e}=\frac{\rho v_{\infty}d}{\eta} \]
- Par ailleurs, la quantité \(\frac{1}{2}\rho v_{\infty}^{\,2}\) est homogène à une pression, comme le rapport \(F/d^2\). On pose alors \[ \pi_{2}=\frac{F/d^{2}}{1/2\rho v_{\infty}^{\,2}} \]
En vertu du théorème \(\pi\) nous savons que \begin{equation} \pi_2=f(\pi_1) \quad\text{soit}\quad F=\frac{1}{2}\rho v_{\infty}^{\,2}d^{2}f(R_\text{e}) \end{equation} Des études en soufflerie permettent d'accéder à la fonction inconnue \(f(R_\text{e})\).
Pertes de charges régulières
Considérons une conduite cylindrique horizontale traversée par un fluide newtonien circulant avec un certain débit. On observe une différence de pression --dite perte de charge-- entre l'amont et l'aval du tuyau. Notons-là \(\Delta p_{\eta}\). L'expérience montre que les pertes de charge sont influencées par les paramètres suivants :
- la longueur \(L\) de la conduite ;
- son diamètre \(d\) ;
- la masse volumique du fluide ;
- sa viscosité \(\eta\) ;
- la vitesse moyenne \(\langle v \rangle\) de l'écoulement ;
- ainsi que l'état de surface de la canalisation que l'on peut caractériser par la rugosité \(\epsilon\).
Déterminons les dimensions de ces septs grandeurs que l'on cherche à relier.
Grandeurs | \(L\) | \(d\) | \(\rho\) | \(\eta\) | \(\Delta p_{\eta}\) | \(\langle v\rangle\) | \(\epsilon\) |
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Dimensions | L | L | ML-3 | ML-1T-1 | ML-1T-2 | LT-1 | L |
On a \(n=7\) grandeurs et \(k=3\) dimensions différentes impliquées dans ces grandeurs. D'après le théorème \(\pi\), il existe \(n-k=4\) nombres sans dimension --notons-les \(\pi_{1}\), \(\pi_{2}\), \(\pi_{3}\) et \(\pi_4\)-- qui doivent être reliées par une loi. Cherchons donc à construire quatre nombres indépendants sans dimension.
- \(L\) et \(d\) étant de même dimension, leur rapport est adimensionné : \(\pi_{1}=L/d\).
- \(\epsilon\) et \(d\) sont aussi de même dimension : \(\pi_2=\epsilon/d\) (rugosité relative).
- On sait que le nombre de Reynolds est sans dimension ; ce sera \(\pi_{3} = R_\text{e} = \dfrac{\rho\langle v\rangle d}{\eta}\).
- Enfin, le théorème de Bernoulli nous enseigne que \(\frac{1}{2}\rho\langle v\rangle^{\,2}\) est homogène à une pression. Ainsi \(\pi_{4}=\dfrac{\Delta p_{\eta}}{1/2\rho\langle v\rangle^{\,2}}\).
D'après le théorème \(\pi\), il existe une relation entre ces quatre nombre sans dimension. Par exemple : \[ \pi_4=f(\pi_1,\pi_2,\pi_3) \] Autrement-dit, \[ \frac{\Delta p_{\eta}}{\frac{1}{2}\rho\langle v\rangle^{2}}=f(L/d,\epsilon/d,R_\text{e}) \] L'analyse dimensionnelle est ici terminée. La fonction \(f(L/d,\epsilon/d,R_\text{e})\) est à déterminer, soit de façon empirique, soit à l'aide d'une modélisation (cf. la loi de Poiseuille par exemple auChapitre sur les pertes de charge)
Empiriquement, on constate que la perte de charge \(\Delta p_{\eta}\) est proportionnelle à \(L\). Par conséquent, on peut écrire \[ f(L/d,\epsilon/d,R_\text{e})= \frac{L}{d}\times \lambda(\epsilon/d,R_\text{e}) \] où \(\lambda(\epsilon/d,R_\text{e})\) est une fonction inconnue à déterminer. Pour résumer, on a \[ \Delta p_\eta=\lambda(\epsilon/d,R_\text{e})\frac{1}{2}\rho \langle v\rangle^{\,2}\frac{L}{d} \] Cette relation est appelée équation de Darcy-Weisbach. Le facteur adimensionné \(\lambda\) désigne le coefficient de perte de charge régulière et cette analyse prévoit qu'il ne dépend que du nombre de Reynolds et de l'état de surface de la canalisation via la rugosité relative.
Convection forcée
La convection est un mode de transfert thermique qui implique un déplacement collectif de fluide. La matière fluide chaude, en se déplaçant, cède de l'énergie aux parties plus froides. Lorsque le déplacement du fluide est forcé par des pompes ou des turbines par exemple, on parle de convection forcée.
Prenons le cas d'un simple échangeur cylindrique de diamètre intérieur \(d\) dans lequel circule un fluide de masse volumique \(\rho\), de viscosité \(\eta\), de conductivité thermique \(\lambda\) et de capacité thermique massique \(c_{p}\). Lorsque le fluide s'écoule à une vitesse moyenne \(\langle v \rangle \), un échange convectif a lieu avec l'intérieur du tuyau. En vertu de la loi de Newton, le courant thermique (en W.m-2) est proportionnel à l'écart de température entre le fluide et le solide. On a \[ j_\text{th}=h \Delta T \] où \(h\) est le coefficient de transfert. Ce dernier dépend essentiellement de la nature du fluide et de son écoulement. Montrons sur la géométrie de laFig.2comment l'analyse dimensionnelle permet de prévoir des lois d'échelle concernant le coefficient de transfert \(h\). Comme d'habitude, dressons une table avec toutes les grandeurs a priori impliquées.
Grandeurs | \(\rho\) | \(\langle v\rangle\) | \(d\) | \(\eta\) | \(\lambda\) | \(c_p\) | \(h\) |
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Dimensions | ML-3 | LT-1 | L | ML-1T-1 | MLT-3Θ-1 | L2T-2Θ-1 | MT-3Θ-1 |
On cherche une relation entre \(n=7\) grandeurs mettant en jeu \(k=4\) dimensions indépendantes. En vertu du théorème \(\pi\), il existe \(n-k=3\) grandeurs adimensionnées liées entre elles. On peut effectivement construire trois nombres sans dimension :
- Le nombre de Reynolds \(R_\text{e}=\dfrac{\rho \langle v \rangle d}{\eta}\) qui caractérise l'écoulement.
- Le nombre de Prandtl \(P_\text{r}=\dfrac{\eta\,c_{p}}{\lambda}\). Plus le nombre de Prandtl est élevé, plus la diffusion de masse domine devant la diffusion de chaleur.
- Le nombre de Nusselt \(N_\text{u}=\dfrac{hd}{\lambda}\). Plus le nombre de Nusselt est important plus le transfert par convection domine devant le transfert par conduction.
D'après le théorème \(\pi\), on a \[ \boxed{ N_\text{u}=f(R_\text{e},P_\text{r}) \quad\Longrightarrow\quad h=\frac{\lambda}{d}f(R_\text{e},P_\text{r}) } \] La fonction \(f\) peut être déterminée de façon empirique ou numérique. Par exemple, pour les fluides usuels et lorsque le régime turbulent est établi, on obtient \[ N_\text{u} = 0,023\,R_\text{e}^{0,8}\,P_\text{r}^{1/3}\quad \text{si }P_\text{r}\geq 0,5 \]