Les faits montrent que des corps neutres peuvent malgré tout interagir via des forces de nature électriques, dite dipolaires. Ce cours aborde ces aspects qui jouent un rôle important dans la modélisation des interactions moléculaires ainsi que dans le phénomène de polarisation de la matière en général.
L'approximation dipolaire
Potentiel créé par un doublet électrostatique
On appelle doublet électrostatique, un ensemble de deux charges ponctuelles opposées \(+q\) et \(-q\) séparées d'une distance \(a\). Sur la figure ci-contre, on note que l'axe AB est un axe de révolution. De plus, le plan contenant le doublet et le point M, est un plan de symétrie de la distribution. Par conséquent, \[ \overrightarrow{E}(\text{M})=E_{r}(r,\theta)\overrightarrow{u_{r}}+E_{\theta}(r,\theta)\overrightarrow{u_{\theta}} \] Si l'on note \(r_{1}=\) AM et \(r_{2}=\) BM, le potentiel créé par ce doublet en un point M s'écrit \[ V(\text{M})=\frac{q}{4\pi\epsilon_{0}}\left(\frac{1}{r_{1}}-\frac{1}{r_{2}}\right) \] Notons que l'équipotentielle \(V=0\) est l'ensemble des points telles que \(r_1=r_2\) ce qui correspond au plan médiateur du segment [AB], lequel représente également un plan d'anti-symétrie de la distribution.
Cherchons maintenant à calculer le potentiel loin du doublet ; c'est-à-dire à une distance \(r\gg a\). Calculons le terme prépondérant du potentiel à l'aide d'un développement limité. On a (théorème de Pythagore généralisé)
\[
{r_1}^2=\left\|\overrightarrow{\text{AO}}+\overrightarrow{\text{OM}}\right\|^2=\left(\frac{a}{2}\right)^2+r^2-
ar\cos\theta
\]
D'où
\[
\frac{1}{r_1}=\frac{1}{r}\left[1+\left(\frac{a}{2r}\right)^{2}-\frac{a\cos\theta}{r}\right]^{-1/2}
\]
Si on se contente d'une approximation à l'ordre 1 en \(a/r\), on trouve
\[
\frac{1}{r_1}\simeq \frac{1}{r}\left(1+\frac{a\cos\theta}{2r}\right)
\]
De même pour \(1/r_2\) (\(\theta\to\pi-\theta\)) :
\[
\frac{1}{r_2}\simeq \frac{1}{r}\left(1-\frac{a\cos\theta}{2r}\right)
\]
Finalement, loin du dipôle, on peut approcher le potentiel par
\[
V\simeq\frac{qa\,\cos\theta}{4\pi\epsilon_{0}\,r^{2}} \quad\text{pour}\quad r\gg a
\]
Cela constitue l'approximation dipolaire. On remarque que le potentiel décroît à grande distance comme \(1/r^{2}\). En effet, loin du doublet, on voit
une charge totale nulle ce qui explique que les effets électriques diminuent plus vite que ceux d'une charge ponctuelle.
Moment dipolaire électrique — On note également que le potentiel dépend du produit \(qa\) qui représente le moment dipolaire électrique du doublet. On définit le moment dipolaire \(\overrightarrow{p}\) du doublet par \begin{equation} \fcolorbox{#FF9D00}{#FEF5EB}{\quad \(\displaystyle \overrightarrow{p}=q\overrightarrow{\text{BA}} \notag \)\quad} \;\color{#FF9900}{\heartsuit} \end{equation}
orienté de la charge négative vers la charge positive. Ce moment s'exprime en C.m. On peut alors exprimer le potentiel dans l'approximation dipolaire à l'aide du moment dipolaire :
Généralisation
Généralisons le résultat précédent en considérant une distribution localisée de charges. On suppose qu'un ensemble de \(N\) charges \((q_1,\ldots,q_N)\) occupe un volume fini. Nous noterons \(a\), la dimension caractéristique de cette distribution. Cette distribution peut par exemple modéliser une molécule, un ion complexe, un métal chargé etc. On cherche à calculer les effets électriques (potentiel et champ électrique) dans l'approximation dipolaire, c'est-à-dire pour des points M situés à une distance grande devant \(a\).
Plaçons l'origine O d'un repère dans la distribution puis adoptons les notations suivantes :
- \(r=\) OM, la distance entre O et M ;
- \(r_{i}=\) P\(_i\)M où P\(_i\) repère la position de la charge \(q_i\) ;
- \(a_{i}=\) OP\(_i\), la distance entre O et P\(_{i}\).
Le potentiel électrostatique créé en M par la distribution de charges s'écrit \[ V(\text{M})=\sum_{i=1}^N\frac{q_{i}}{4\pi\epsilon_{0}r_i} \] avec \[ r_{i}=\left\|\overrightarrow{\mathrm{OM}}-\overrightarrow{\mathrm{OP_{i}}}\right\|= r\sqrt{1+\left(\frac{a_i}{r}\right)^{2}-2\frac{\overrightarrow{\text{OM}}.\overrightarrow{\mathrm{OP_{i}}}}{r^{2}}} \] Puisque \(a_i/r \ll 1\), effectuons un développement limité du potentiel à l'ordre 2 en \(a_{i}/r\) à l'aide de la relation \(\left(1+\epsilon\right)^{-1/2}=1-1/2\epsilon+3/8\epsilon^{2}+o(\epsilon^2)\) : \[ V(M)=\sum_i\frac{q_i}{4\pi\epsilon_{0}r}\left[1+\frac{\overrightarrow{\mathrm{OM}}\cdot\overrightarrow{\mathrm{OP}_i}}{r^{2}}+\frac{3\left(\overrightarrow{\mathrm{OP_i}}\cdot\overrightarrow{u_{r}}\right)^{2}-\mathrm{OP_i}^2}{2r^{2}}+o\left(\frac{a_{i}^{2}}{r^{2}}\right)\right] \] Si l'on néglige les termes d'ordre supérieur à 2, on obtient l'approximation suivante : \[ V(M)\simeq\dfrac{\sum_{i}q_{i}}{4\pi\epsilon_{0}\,r}+\dfrac{(\sum_{i}q_{i}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}})\cdot\overrightarrow{u_{r}}}{4\pi\epsilon_{0}\,r^{2}}+\dfrac{\mathcal{Q}}{4\pi\epsilon_{0}\,r^{3}} \] On voit apparaître des termes décroissant en \(1/r^n\). Les trois termes sont les premiers termes de ce que l'on appelle le développement multipolaire de \(V\)(M) :
- Le premier terme désigne le terme unipolaire. C'est le terme prépondérant lorsque la charge totale est non nulle. Par exemple, un ion crée un champ quasi newtonien dès que l'on se trouve à une distance grande devant sa .
- Le deuxième terme représente le terme dipolaire. Il devient prépondérant lorsque la charge totale est nulle à condition que \(\sum_{i}q_{i}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}}\neq\overrightarrow{0}\). C'est par exemple le cas d'une molécule neutre qui ne présente pas de centre de symétrie (on parle de molécule polaire), comme par exemple \(\mathsf{H_{2}O}\), \(\mathsf{HCl}\), etc.
- Le troisième terme représente le terme quadrupolaire. Il décroit en \(1/r^3\) et dépend du moment quadrupolaire \(\mathcal{Q}=\sum\frac{1}{2}q_{i}a_{i}^{2}\left(3\cos^{2}\theta_{i}-1\right)\) qui mesure l'écart à la symétrie sphérique.
En résumé
Pour une distribution électriquement neutre, on définit le moment dipolaire électrique \[ \overrightarrow{p}=\sum_{i}q_{i}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}} \] Si ce moment dipolaire est non nul, le potentiel électrique s'écrit dans l'approximation dipolaire : \[ V_{\text{dipolaire}}(\text{M})= \frac{\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{u_{r}}}{4\pi\epsilon_{0}\,r^{2}} \]
Moment dipolaire électrique
La notion de dipôle trouve naturellement sa place dans la description de certaines molécules pour lesquelles le barycentre des charges positives ne coïncide plus avec le barycentre des charges négatives. En effet, supposons une distribution de charges électriquement neutre, contenant \(N_{+}\) charges positives \(\{{q_{i}}^{+}\}\) et \(N_{-}\) charges négatives \(\{{q_i}^{-}\}\). L'électroneutralité se traduit par la relation \[ N_{+}{q_{i}}^{+}=-N_{-}{q_{i}}^{-}=Q \] Cette neutralité électrique induit que le moment dipolaire . En effet, \[ \sum_{i}q_{i}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}}= \sum_{i}q_{i}\overrightarrow{\mathrm{OO'}}+\sum_{i}q_{i}\overrightarrow{\mathrm{O'P_i}}= \sum_{i}q_{i}\overrightarrow{\mathrm{O'P_i}} \] Notons maintenant B\(_+\) le barycentre des charges positives et B\(_-\) celui des charges négatives. Par définition du barycentre, on a \[ Q\overrightarrow{\mathrm{OB_+}}=\sum_{\text{charges +}}{q_{i}}^{+}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}} \quad\text{et}\quad -Q\overrightarrow{\mathrm{OB_-}}=\sum_{\text{charges -}}{q_{i}}^{-}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}} \] Par conséquent \[ \sum_{i}q_{i}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}}= \sum_{\text{charges +}}{q_{i}}^{+}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}}+ \sum_{\text{charges -}}{q_{i}}^{-}\overrightarrow{\mathrm{OP_i}}= Q\overrightarrow{\mathrm{OB_+}}-Q\overrightarrow{\mathrm{OB_-}} \] Ainsi, le moment dipolaire peut se réécrire
Relation avec les barycentres des charges
\[\overrightarrow{p}=Q\overrightarrow{\mathrm{B_-B_+}}\]Le moment dipolaire est donc lié au fait que le barycentre des charges négatives ne coïncide pas avec le barycentre des charges positives. Quand une molécule présente cette propriété on dit qu'elle est polaire (H20, HCl, NO, etc.) alors que si elle présente un centre de symétrie on dit qu'elle est apolaire (He, N2, O2, CO2, etc.). Le tableau ci-dessous recense quelques exemples d'entités chimiques et le type d'action qu'elles produisent.
Entité chimique | H20 | H2 | HCl | CO2 | NH4+ | He |
---|---|---|---|---|---|---|
Charge | 0 | 0 | 0 | 0 | ≠ 0 | 0 |
Moment dipolaire | ≠ 0 | 0 | ≠ 0 | 0 | 0 | 0 |
Moment quadrupolaire | ≠ 0 | ≠ 0 | ≠ 0 | ≠ 0 | ≠ 0 | 0 |
Potentiel à longue distance | 1/r2 | 1/r3 | 1/r2 | 1/r3 | 1/r | 1/rn avec n ≥ 4 |
Ordre de grandeur — Le moment dipolaire s'exprime en C.m dans le Système international d'unités mais les chimistes préfèrent une unité plus adaptée au monde moléculaire : le debye (symbole : D). Par définition \[ 1\;\mathrm{D}=3{,}335\,64.10^{-30}\;\mathrm{C.m}\simeq \frac13.10^{-29}\;\mathrm{C.m} \] Le tableau ci-dessous donne les moments dipolaires des halogénures d'hydrogène mettant en évidence le phénomène d'électronégativité : l'halogène déplace vers lui le barycentre des charges négatives ce qui induit un moment dipolaire dirigé vers \(\mathsf{H}\). Ce phénomène augmente de l'iode vers le fluor, élément le plus électronégatif du tableau périodique.
Halogénure | HF | HCl | HBr | HI |
---|---|---|---|---|
Moment dipolaire | 1,97 D | 1,03 D | 0,78 D | 0,38 D |
Il est pratique parfois de décomposer un système neutre en N sous-systèmes neutres auxquels on associe un moment dipolaire \(\overrightarrow{p_{i}}\). Dans ce cas, le moment dipolaire de la distribution complète est la somme vectorielle \(\overrightarrow{p}=\sum\overrightarrow{p_{i}}\). C'est pourquoi, on peut calculer le moment dipolaire d'une molécule en sommant vectoriellement les moments dipolaires associées à chaque liaison.
Exemple : identification d'un isomère
L'un des isomères du dichlorobenzène a pour moment dipolaire \(p=1,5\) D. Sachant que la liaison \(\mathsf{C-Cl}\) possède un moment \(p_0=1,6\) D et que la liaison \(\mathsf{C-H}\) est quasi apolaire, on peut déterminer cet isomère. En effet, le dichlorobenzène existe sous trois formes possibles :
Si l'on néglige le moment dipolaire des liaison \(\mathsf{C-H}\), alors le moment dipolaire résulte de la somme vectorielle des moments dipolaires associées aux liaisons \(\mathsf{C-Cl}\). Si l'on note \(\alpha\) l'angle entre ces liaisons, on a \[ \overrightarrow{p}=\overrightarrow{p_1}+\overrightarrow{p_2} \quad\Longrightarrow\quad p=2p_0\cos(\alpha/2) \] On en déduit \(\alpha=124\)°, valeur assez proche de 120°. Par conséquent, il s'agit de la forme méta-dichlorobenzène.
Champ électrique dans l'approximation dipolaire
Intéressons au champ électrique créé par une distribution électriquement neutre et présentant un moment dipolaire. Se plaçant dans l'approximation dipolaire, il suffit de calculer du potentiel \(V_{\text{dipolaire}}(\text{M})\) : \[ \overrightarrow{E}(\text{M})=-\overrightarrow{\text{grad}}\left(\frac{\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{\text{OM}}}{4\pi\epsilon_{0}\,r^3}\right) \] Utilisons l'identité \(\overrightarrow{\text{grad}}(fg)=f\overrightarrow{\text{grad}}(g)+g\overrightarrow{\text{grad}}(f)\) en prenant \(g=\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{\text{OM}}\) et \(f=1/r^3\) : \[ \overrightarrow{E}(\text{M})= -\frac{1}{4\pi\epsilon_{0}}\left[\frac{1}{r^{3}}\overrightarrow{\text{grad}}\left(\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{\text{OM}}\right)+(\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{\text{OM}})\overrightarrow{\text{grad}}\left(\frac{1}{r^{3}}\right)\right] \] D'une part, \[ \overrightarrow{\text{grad}}\left(\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{\text{OM}}\right)= \overrightarrow{\text{grad}}(p_x\,x+p_y\,y+p_z\,z)=\overrightarrow{p} \] d'autre part, \[ \overrightarrow{\text{grad}}\left(\frac{1}{r^{3}}\right)=-\frac{3\overrightarrow{u_{r}}}{r^{4}} \] On obtient finalement \[ \overrightarrow{E}(\text{M})= \frac{1}{4\pi\epsilon_{0}r^3}\left[3(\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{u_r})\overrightarrow{u_r}-\overrightarrow{p}\right]= \frac{1}{4\pi\epsilon_{0}r^3} \left(\begin{array}{c} 2p\cos\theta\\ p\sin\theta\\ 0 \end{array}\right) \] où la dernière expression est obtenue en orientant le moment dipolaire suivant l'axe (Oz) et en repérant le point M en coordonnées sphériques.
Notons que le champ électrique décroît en \(1/r^3\) et qu'il n'est pas isotrope. La simulation 1 représente les lignes de champs électriques et les équipotentielles, vues de loin et vues de près.
- On remarque que les lignes de champ présentent deux lobes symétriques perpendiculaires au moment dipolaire. On peut montrer que les lignes de champ ont pour équation paramétrique \(r(\theta)=K'\sin^{2}\theta\).
On serait tenté de conclure que, comme le laisse penser le schéma, les lignes de champ se referment à l'origine. Cependant au voisinage de l'origine, l'approximation dipolaire n'est plus valide. Un examen attentif de ce qui se passe près de l'origine montre que les lignes ne se referment pas : cette propriété est générale en électrostatique.
- Quant au potentiel électrique, la formule (1) permet de trouver l'équation paramétrique des équipotentielles : \(r=K\sqrt{\cos\theta}\).
Interactions dipolaires
Énergie d'un dipôle dans un champ électrique extérieur
Supposons un dipôle électrique situé en O et plongeant dans le champ électrique \(\overrightarrow{E}_{\text{ext}}\) créé par une autre distribution de charges. Notons \(V_\text{ext}(x,y,z)\) le potentiel associé. Insistons sur le fait que ces champs sont sans rapport avec les champs produits par le dipôle lui-même.
Cherchons à exprimer l'énergie du dipôle \(\mathcal{E}_{\text{p}}\) dans l'hypothèse où le champ extérieur varie peu à l'échelle du dipôle. Si l'on adopte un modèle de distribution discrète pour le dipôle, on a \[ \mathcal{E}_{\text{p}}=\sum_{i}q_{i}V_\text{ext}(x_i,y_i,z_i) \] où \(x_i\), \(y_i\) et \(z_i\) sont les coordonnées du point P\(_i\).
Remarque
Il ne faut pas confondre cette énergie avec \(\mathcal{E}_{\text{p int}}=\displaystyle{\sum_{<i,j>_{i\neq j}}\frac{q_{i}q_{j}}{4\pi\epsilon_{0}r_{ij}}}\) qui représente l'énergie interne du dipôle, somme des énergie d'interactions mutuelles entre les charges du dipôle.
Compte tenu des hypothèses, contentons nous d'effectuer un développement du potentiel à l'ordre un, autour de O : \[ V_\text{ext}(x_i,y_i,z_i)\simeq V_\text{ext}(0,0,0)+x_i\frac{\partial V_\text{ext}}{\partial x}+y_i\frac{\partial V_\text{ext}}{\partial y}+z_i\frac{\partial V_\text{ext}}{\partial z}=V_0-\overrightarrow{E}_{\text{ext}}\cdot \overrightarrow{\mathrm{OP_i}} \] L'expression de l'énergie devient \[\mathcal{E}_{\text{p}}=\sum_i q_iV_0-\left(\sum_{i}q_{i} \overrightarrow{\mathrm{OP_i}}\right)\cdot \overrightarrow{E}_{\text{ext}}\] En vertu de la neutralité électrique du dipôle et de la définition du moment dipolaire, on trouve
Énergie d'un dipôle dans un champ extérieur
\[ \mathcal{E}_{\text{p}}=-\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{E}_{\text{ext}} \]Exercice
On considère une molécule A de taille caractéristique \(a\) de moment dipolaire \(\overrightarrow{p}\) en interaction avec un ion B assimilable à une charge ponctuelle \(q_0\) située à la distance \(\text{AB}\gg a\) de la molécule. On peut déterminer l'énergie de cette interaction en considérant que la charge est plongée dans le potentiel produit par la molécule, ou que la molécule est plongée dans le champ créé par la charge ponctuelle. Déterminer l'énergie d'interaction de ces deux manières, et vérifier la cohérence.
Rép. — Les deux approches donnent \(\mathcal{E}_{\text{p}}=\dfrac{q_0\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{\text{AB}}}{4\pi\epsilon_{0}\,\text{AB}^3}\).
Dipôle rigide dans un champ uniforme
Plongeons une molécule polaire dans un champ électrostatique extérieur uniforme \(\overrightarrow{E}_{\text{ext}}\). On suppose que cette molécule conserve un moment dipolaire constant : on dit que le dipole est rigide. Quelles sont les actions que subit le dipôle de la part du champ extérieur ?
Commeçons par écrire l'énergie d'interaction : \[ \mathcal{E}_{\text{p}}=-\overrightarrow{p}\cdot\overrightarrow{E}_{\text{ext}}=-pE_{\text{ext}}\cos\theta \]
Notons tout d'abord que l'énergie ne dépend pas de la position du dipôle. Cette invariance par translation se traduit par une résultante des forces nulles. On peut le vérifier en calculant directement la force électrique : \[\overrightarrow{F}=\sum_{i}q_{i}\overrightarrow{E}_{\text{ext}}=\overrightarrow{E}_{\text{ext}}\,\sum_{i}q_{i}=\overrightarrow{0}\] Ainsi la molécule n'est pas accélérée. En revanche, elle est soumise à un couple qui tend à la faire tourner. D'après le profil de l'énergie potentielle, on voit que le système va chercher à adopter la configuration la plus stable, c'est-à-dire celle correspondant à un alignement du dipôle avec le champ extérieur (\(\theta=0\)). On peut calculer le moment de ce couple d'orientation : \[ \overrightarrow{\Gamma}=\sum_{i}\overrightarrow{\mathrm{OP_{i}}}\wedge q_{i}\overrightarrow{E}_{\text{ext}}= \overrightarrow{p}\wedge\overrightarrow{E}_{\text{ext}} \] moment qui tend à aligner le dipôle avec le . Ainsi, l'action d'un champ électrique uniforme consiste en une orientation du moment dipolaire suivant le champ électrique.
Exemple
Lorsque l'on dissout un ion en solution aqueuse, les molécules d'eau entourent l'ion en orientant le moment dipolaire de la molécule d'eau dans le sens du champ créé par l'ion. Ce processus permet d'atténuer efficacement le champ électrique créé par l'ion.
Dipôle rigide dans un champ non uniforme
Supposons maintenant que le champ ne soit plus uniforme et admettons que le processus d'orientation du moment dipolaire suivant le champ électrique soit réalisé à tout instant. Dans ce cas, l'énergie du dipôle s'écrit \(\mathcal{E}_{\text{p}}=-pE_{\text{ext}}\). Les actions qui apparaissent font en sorte de diminuer cette énergie : autrement dit, le dipôle est soumis à une force qui tend à le déplacer dans la zone ou règne le champ le plus fort. Mathématiquement, on a \[ \overrightarrow{F}=-\overrightarrow{\text{grad}}\mathcal{E}_{\text{p}}=p \overrightarrow{\text{grad}}E_{\text{ext}} \]
Un dipôle rigide dans un champ non uniforme est soumis à une force qui tend à le déplacer vers les zones où règne un champ électrique fort (une fois le dipôle aligné avec le champ).
C'est ce qui explique par exemple qu'un bâton d'ébonite frotté (et donc chargé) attire des morceaux de papier (isolants neutres). En effet, la tige d'ébonite crée un champ électrique qui polarise le morceau de papier, lequel acquiert un moment dipolaire forcément orienté avec le champ électrique. Ce champ étant plus intense près de l'extrémité du bâton, le morceau de papier va venir s'y coller.
Interactions de van der Waals
Au sein de la matière, les molécules, bien qu'électriquement neutres, sont soumises à de faibles interactions attractives que l'on désigne par . Ces interactions jouent un rôle important dans la science du vivant, en chimie et en physique des interfaces. Elles sont par exemple responsables de la cohésion des cristaux liquides et moléculaires. Les phénomènes de tension de surface reposent également sur cette force. On peut interpréter l'interaction de van der Waals comme le résultat d'une interaction entre dipôles dont l'énergie d'interaction se décompose en trois termes : \[ \mathcal{E}_{\text{vdW}}=\mathcal{E}_{\text{Keesom}}+\mathcal{E}_{\text{Debye}}+\mathcal{E}_{\text{London}} \]
- Terme de Keesom :
- deux molécules polaires de moment dipolaire \(p_1\) et \(p_2\) auront tendance à orienter leur moment dipolaire dans le sens du champ produit par l'autre dipôle puis à se rapprocher du fait de l'attraction vers les champs forts. Du fait de l'agitation thermique, il faut moyenner cette interaction sur toutes les orientations possibles. On montre alors que l'énergie d'interaction moyenne entre deux dipôles permanents distants de \(r\) s'écrit \[ \mathcal{E}_{\text{Keesom}}=-\frac{{p_1}^2{p_2}^2}{k_BT(4\pi\epsilon_0)^2}\frac{1}{r^6} \]
- Terme de Debye :
- il s'agit de l'interaction d'une molécule polaire avec une molécule apolaire, comme par exemple l'interaction entre \(\mathsf{H_{2}O}\) et \(\mathsf{O_{2}}\). La molécule apolaire ne présente pas de moment dipolaire en raison de l'existence d'un centre de symétrie, cependant, en présence d'un champ électrique, le nuage électronique se déforme ce qui déplace le barycentre des charges négatives et induit l'apparition d'un moment dipolaire : on dit que la molécule s'est polarisée. Le moment dipolaire induit est proportionnel au champ électrique extérieur : \[\overrightarrow{p}_{\text{induit}}=\epsilon_0 \alpha\overrightarrow{E}_{\text{ext}}\] où \(\alpha\) désigne la polarisabilité. Ainsi, en présence d'un dipôle permanent, une molécule apolaire se polarise et a tendance à s'orienter suivant le champ polarisant puis à se rapprocher de la molécule responsable de cette polarisation. On trouve une énergie d'interaction \[ \mathcal{E}_{\text{Debye}}=-\frac{{p_1}^2\alpha}{16\pi^2\epsilon_0}\frac{1}{r^6} \]
- Force de London :
- on pourrait penser que deux atomes apolaires (comme les gaz rares) ou deux molécules apolaires (comme \(\mathsf{O_2}\)) n'interagissent pas puisqu'ils ne présentent pas de moment dipolaire. En réalité, chaque molécule présente un moment dipolaire fluctuant \(p(t)\) de moyenne nulle : \(\overline{\overrightarrow{p}(t)}=\overrightarrow{0}\). Le terme d'interaction est alors proportionnel à la moyenne \(\overline{p^2}\) qui elle n'est pas nulle. On montre que le terme d'interaction varie également comme \(1/r^6\).
Forces de van der Waals
En résumé, dans la matière il existe des interactions attractives entre toutes les molécules. L'énergie d'interaction s'écrit \[ \mathcal{E}_{\text{vdW}}=-\frac{C}{r^6} \] ce qui donne naissance à une force moyenne attractive \[ \overrightarrow{F}_{\text{VDW}}=-\frac{6C}{r^7}\overrightarrow{u_r} \] La décroissance rapide de la force de van der Waals permet d'expliquer sa courte portée et son influence dans les milieux denses (liquide et solide).
Remarque
La force de van der Waals entre deux atomes isolés a pu être mesurée directement pour la première fois par une équipe de physiciens français en 2013[2]. Cette prouesse a été rendue possible grâce aux technologies associées au refroidissement laser et au piégeage optique.
Bien entendu, les molécules finissent par se repousser lorsqu'elles sont en contact proche du fait de la répulsion électronique et du principe d'exclusion de Pauli. Cette effet stérique est en général décrit par un terme d'énergie répulsif en \(1/r^{12}\). Un modèle très souvent utilisé en dynamique moléculaire pour sa simplicité, est le modèle de Lennard-Jones : \[ \mathcal{E}_{\text{p}}(r)=4\epsilon\left[\left(\frac{a}{r}\right)^{12}-\left(\frac{a}{r}\right)^6\right] \] où \(\epsilon\) représente la profondeur du puits de potentiel et \(a\) la position correspondant à une énergie nulle (cf. figure ci-contre). La profondeur du puits est de l'ordre du kJ/mol ce qui explique l'existence de cristaux moléculaires, à basse température.
Pour en savoir plus...
- Electrodynamique classique : cours et exercices d’électromagnétismeParis, Dunod, 2001.
- Direct measurement of the van der Waals interaction between two Rydberg atoms Physical review lettersvol. 110, №26, p.263201, 2013.