Ce chapitre, essentiellement descriptif, est une introduction aux changements de phase du corps pur et aux propriétés thermodynamiques associées. Ces dernières sont mises a profit dans de nombreuses applications, notamment les machines thermiques (cf. chapitre suivant).
Diagramme de phases
Quelques définitions
Corps pur — Système constitué d'une seule espèce chimique.
Exemples et contre-exemples
La glace, le fer, le sel sont des corps purs.
L'air, l'eau salée n'en sont pas.
Phase — Partie d'un système pour laquelle les paramètres intensifs ont la en tout point. Une phase est donc homogène. Un corps pur peut se présenter sous plusieurs phases, lesquelles peuvent, dans certaines conditions, coexister. On distingue couramment trois phases.
- La phase solide se caractérise à l'échelle microscopique par une structure ordonnée et périodique. C'est le solide cristallin. Il peut exister différentes phases solides chacune correspondant à une certaine symétrie cristalline.
- La phase liquide est un état fluide particulier, caractérisé par un chaos moléculaire et une densité comparable à celle des solides. Les interactions moléculaires jouent alors un rôle clé au sein d'un liquide.
- La phase gazeuse correspond à un fluide peu dense, dans lequel les molécules restent suffisamment éloignées pour que l'énergie d'interaction moléculaire soit faible devant l'énergie cinétique des molécules. Dans le cas limite où les interactions sont négligeables, on parle de gaz parfait.
Exemples
L'air est un mélange de gaz qui forme une phase car tous les gaz sont miscibles entre eux.
Un mélange eau-éthanol forme une phase car ces deux liquides sont miscibles.
Un mélange eau/huile est constitué de deux phases. En effet, la densité volumique subit une discontinuité au niveau de l'interface huile/eau. Il s'agit de deux phases liquides de deux corps purs différents.
Le graphite et le diamant sont deux phases solides différentes d'un même corps pur (le carbone). On parle de variétés allotropiques.
Transition de phase — Passage d'une phase à une autre par modification continue d'un paramètre intensif extérieur (pression, température, champ électrique, etc.). On distingue deux types de transitions.
- Les transitions du 1er ordre s'accompagnent d'une absorption ou d'un dégagement de chaleur et qui autorisent les phases à coexister en des proportions variables.
- Les transitions du 2nd ordre, quant à elles ne produisent aucun dégagement de chaleur, et n'autorisent pas les deux phases à coexister. Les transitions conducteur normal \(\to\) supraconducteur ou paramagnétique \(\to\) ferromagnétique sont des transitions du second ordre.
Les changements d'état du corps pur sont des transitions de phase du 1er ordre, et nous verrons qu'elles s'accompagnent d'une variation d'enthalpie ainsi que d'une variation d'entropie. On donne des noms spécifiques à ces transitions suivant la nature des phases initiale et finale (cf. Fig.1).
Diagramme de phases — Il s'agit d'un diagramme qui représente les domaines de stabilité des différentes phases en fonction des conditions extérieures (pression, température, volume massique, concentration, etc...).
Par exemple la Fig.2 représente le diagramme de phases du soufre en coordonnées \(p-T\). Sur un tel diagramme, les frontières des différents domaines donnent les conditions de coexistence des différentes phases de part et d'autre de la frontière.
Équilibre liquide-vapeur
Expérience d'Andrews
Enfermons 1 g de gaz dans une ampoule thermalisée à la température \(T\). On peut faire varier le volume du gaz grâce à une colonne de mercure que l'on pousse à l'aide d'un piston. Un manomètre mesure à chaque instant la pression \(p\) du gaz. Traçons l'évolution de la pression au fur et à mesure que le volume décroît. On obtient une isotherme, dite isotherme d'Andrews.
Suivant la température, deux cas sont à distinguer :
- si \(T<T_c\) (température critique), la pression augmente jusqu'à un pallier durant lequel deux phases coexistent : la vapeur et le liquide. La compression s'accompagne d'un enrichissement en liquide. Lorsque tout a été liquéfié, une diminution de volume entraîne une augmentation brutale de la pression.
- si \(T>T_c\), la pression augmente continûment sans apparition de palier ni de transition : c'est la phase hypercritique.
Détaillons et interprétons les observations. Au début, le fluide se présente sous une phase gazeuse. On parle de vapeur sèche. Dans ce cas, la variance vaut \(\mathcal{V}=c+2-\varphi=2\). Choisissons comme variables intensives indépendantes, la température \(T\) et le volume massique \(v\). On peut donc écrire \[ p=p(T,v) \] Par conséquent, le long d'une isotherme, la pression ne dépend que du volume massique. D'ailleurs, si la vapeur sèche se comporte comme un , on prévoit des isothermes hyperboliques, car \[ p=\frac{nRT}{V}=\frac{RT}{Mv}=\frac{\mathrm{C^{te}}}{v} \] À partir d'un certain volume massique, apparaît une première goutte liquide. Au fur et à mesure que l'on appuie sur le piston, le volume diminue car une partie du gaz passe dans la phase liquide occupant moins de place. Ce système où coexistent les deux phases liquide et vapeur, est appelé vapeur saturante. D'après la règle de Gibbs, \(\mathcal{V}=1\) ce qui signifie que \(p=p(T)\) : l'isotherme est donc un pallier. Cette pression est appelée pression de vapeur saturante et sera notée \(p_\text{sat}\).
Enfin, lorsque tout a été liquéfié, on se retrouve avec un système monophasé et donc divariant (\(\mathcal{V}=2\)). La pression varie avec \(v\) et \(T\). Mais comme le liquide est quasi incompressible, l'isotherme est quasi verticale pour la phase liquide.
La courbe correspondant à l'ensemble des points où apparaît la première goutte liquide est appelée courbe de rosée, alors que la courbe où disparaît la dernière bulle de vapeur est appelée courbe d'ébullition. Expérimentalement, on constate que ces deux courbes se rejoignent en un point particulier dit point critique de coordonnées \((v_c,p_c)\). Il existe une seule isotherme \(T=T_c\) qui passe par ce point, de sorte que toutes les isothermes \(T>T_c\) ne présentent pas de pallier et donc pas de transition. Le système reste constamment dans une seule phase, appelée fluide hypercritique.
Corps pur | \(T_c\) (°C) | \(p_c\) (bar) | \(v_c\) (cm3.g-1) |
---|---|---|---|
CH4 | -83 | 46,2 | 6,2 |
C02 | 31 | 74 | 2,2 |
H2 | -240 | 13,0 | 32,5 |
H2O | 374 | 221 | 2,5 |
He | -268 | 2,3 | 14,4 |
N2 | -147 | 33,9 | 3,2 |
O2 | -119 | 50,4 | 2,3 |
Diagramme p-T
Dans un diagramme pression-température, la courbe \(p_\text{sat}(T)\), délimite deux domaines : \[ \begin{cases} p>p_\text{sat}&\text{domaine de stabilité du liquide}\\ p<p_\text{sat}&\text{domaine de stabilité du gaz} \end{cases} \] La frontière entre ces deux domaines correspond à l'équilibre liquide-vapeur et décrit une courbe croissante appelée courbe de vaporisation. Elle est limitée par deux points :
- le point critique C ;
- le point triple Y (voir plus loin).
De ce fait, il est possible de passer continûment de l'état gazeux à l'état liquide sans rencontrer de transition en passant au delà du point critique. La vidéo suivant illustre ce phénomène
La pression de vapeur saturante croît avec la température. On utilise souvent la loi empirique de Rankine \[ \ln p_\text{sat}=\alpha-\frac{\beta}{T} \] où \(\alpha\) et \(\beta\) sont deux constantes empiriques qui dépendent de la nature du corps pur, et que l'on obtient facilement par régression linéaire après avoir tracé \(\ln(p_\text{sat})\) en fonction de \(1/T\).
Exercice
On donne quelques points situées sur la courbe de coexistence liquide/vapeur du méthanol dans l'intervalle 300—350 K :
Pression \(\boldsymbol{p_\text{sat}}\) en bar | 0,19 | 0,31 | 0,48 | 0,74 | 1,11 | 1,62 |
---|---|---|---|---|---|---|
Température \(\boldsymbol{T}\) en kelvin | 300 | 310 | 320 | 330 | 340 | 350 |
Déterminer, à l'aide d'une régression linéaire, les paramètres \(\alpha\) et \(\beta\) de la formule de Rankine qui s'ajustent le mieux à ces données.
Rép. \(\alpha=13{,}4\) et \(\beta=453\times 10^1\,\mathrm{K^{-1}}\).
Pour l'eau, Duperray a proposé une formule relativement simple valable entre 100°C et 200°C : \[ p_\text{sat}=\left(\frac{T}{100}\right)^4 \quad\text{avec}\quad \begin{cases} p_\text{sat} &\text{en atm}\\ T &\text{en °C}\\ \end{cases} \] On retiendra notamment que \(p_\text{sat}=1\,\mathrm{atm}\) à \(T=100\,\mathrm{^\circ C}\).
Diagramme complet
Si nous partons d'un point dans le domaine de stabilité de l'état liquide et que nous le refroidissons de manière isobare, nous observons, à partir d'une certaine température, l'apparition d'un germe solide : c'est le début de la solidification pendant laquelle la température reste constante. Cette température est dite température de solidification et ne dépend que de la pression puisque la variance vaut 1. En répétant l'opération pour différentes pressions, on peut tracer la courbe d'équilibre liquide-solide \(p_{(s) \rightleftharpoons (\ell)}=g(T)\) : c'est la courbe de fusion. Cette courbe est quasi verticale et présente en générale une pente positive. Dans ce cas, une augmentation de la pression d'un corps à l'état solide le stabilise, car le point représentatif de l'état du corps s'éloigne de la courbe de coexistence liquide/solide. À ce titre, l'eau fait figure d'exception puisqu'une augmentation de pression peut entraîner la fusion de la glace du fait de la pente négative de la courbe de fusion dans le diagramme de l'eau.
La courbe de fusion coupe la courbe de vaporisation au point triple Y. En ce point triple, les trois phases (liquide, vapeur et solide) coexistent et sont en équilibre thermodynamique de sorte que la variance vaut \[ \mathcal{V}=c+2-\varphi=1+2-3=0 \] Autrement dit, ce point ne dépend d'aucune variable. Il s'agit d'un point fixe caractéristique du corps pur (cf. Fig.6).
Corps pur | CO2 | H2 | H2O | N2 | O2 |
---|---|---|---|---|---|
\(T_\text{Y}\) (°C) | -56,6 | -259 | 0,010 | -210 | -219 |
\(p_\text{Y}\) (bar) | 5,2 | 70.10-3 | 6,1.10-3 | 0,122 | 1,5.10-3 |
À partir du point triple il faut considérer l'équilibre entre le gaz et le solide. Il existe alors une frontière \(p_{(s) \rightleftharpoons (g)}=h(T)\), dite courbe de sublimation qui sépare les deux domaines solide et gaz.
Remarque
Il est possible de rencontrer des frontières pour l'équilibre entre deux structures cristallines différentes comme c'est le cas dans le diagramme du soufre, Fig.2.
Les diagrammes \(p-T\) et \(p-V\) sont en réalité des projections d'une surface d'état tridimensionnelle. En effet, chaque phase est décrite par une équation d'état \(f(p,V,T)=0\) ce qui se traduit par une surface dans l'espace \(p,V,T\) (cf. Fig.7).
Règle des moments
Considérons un système diphasé, liquide/vapeur par exemple, en équilibre thermodynamique. Notons \(m_\ell\) la masse de la phase liquide, et \(m_\text{g}\) la masse de vapeur. Appelons \(x_\text{g}\) le titre massique de la vapeur, \(x_\ell\) celui de la phase liquide. Par définition, \[ x_\text{g}=\frac{m_\text{g}}{m_\text{g}+m_\ell} \quad\text{et bien sûr}\quad x_\text{g}+x_\ell=1 \] Appelons \(v_\text{M}\) le volume massique du mélange. Celui-ci occupe donc un volume \(V_\text{M}=(m_\ell+m_\text{g})v_\text{M}\). De même,
- la phase liquide occupe le volume \(V_\ell=m_\ell\, v_\ell\), où \(v_\ell\) est le volume massique de la phase liquide ;
- la vapeur occupe le volume \(V_\text{g}=m_\text{g}\, v_\text{g}\), où \(v_\text{g}\) est le volume massique de la phase vapeur.
Vu que ces deux phases sont disjointes, les volumes s'ajoutent : \[ V_\text{M}=(m_\ell+m_\text{g})\,v_\text{M}= m_\ell\, v_\ell+m_\text{g}\,v_\text{g} \] En divisant par \((m_\ell+m_\text{g})\), on obtient la loi \begin{equation} \fcolorbox{#FF9D00}{#FEF5EB}{\quad \(\displaystyle x_\text{g}=\frac{v_\text{M}-v_\ell}{v_\text{g}-v_\ell}=\frac{\text{AM}}{\text{AB}} \)\quad} \;\color{#FF9900}{\heartsuit}\nonumber \end{equation}
La relation précédente s'interprète comme un rapport de deux longueurs dans le diagramme \(p-V\). En effet, si l'on note M le point représentatif du mélange, A celui du liquide saturant et B celui de la vapeur saturante, alors AM/BM donne le titre massique en vapeur : c'est la règle des moments.
De manière générale, pour deux phases (1) et (2) en équilibre, on a \[ x_1=\frac{v_\text{M}-v_2}{v_1-v_2} \quad\text{avec }v\text{ les volumes massiques} \]
Remarque
Notez que si l'on dispose des volumes molaires au lieu des volumes massiques, on obtient un titre molaire au lieu d'un titre massique. Cependant, dans le cas du corps pur, titre massique et titre molaire sont identiques.
Exemple : contenu d'une bouteille de butane
Une bouteille de gaz de volume \(V=30{,}6\,\mathrm{L}\) enferme \(m=10\,\mathrm{kg}\) de butane (\(\mathsf{C_4H_{10}}\)) partiellement liquéfié. On a les données suivantes :
- \(M(\text{H})=1{,}0\,\mathrm{g.mol^{-1}}\) et \(M(\text{C})=12\,\mathrm{g.mol^{-1}}\)
- masse volumique du butane liquide à 25°C : \(\rho=573\,\mathrm{kg.m^{-3}}\)
- pression de vapeur saturante du butane à 25°C : \(p_\text{sat}=2{,}4\,\mathrm{bar}\)
- volume massique de la vapeur saturante à 25°C : \(v_\text{g}=162\,\mathrm{L.kg^{-1}}\)
Cherchons quelle est la proportion de liquide dans ce mélange à \(T=25\)°C. Pour cela, calculons les volumes massiques des phases liquide et vapeur à la température \(T\) et à la pression de vapeur saturante correspondante.
Pour la phase liquide, on a \(v_\ell=\frac{1}{\rho}=1{,}75.10^{-3}\,\mathrm{m^3.kg^{-1}}=1{,}75\,\mathrm{L.kg^{-1}}\).
Pour la phase gazeuse, on trouve dans les données \(v_\text{g}=162\,\mathrm{L.kg^{-1}}\).
Calculons maintenant le volume massique du mélange liquide-gaz : \[ v_\text{m}=\frac{V}{m}=3{,}06\,\mathrm{L.kg^{-1}} \] On constate que \(v_\text{m}\in [v_\ell;v_\text{g}]\) ce qui prouve que les phases vapeur et liquide coexistent. Utilisons la règle des moments pour déterminer la fraction massique \(x\) en liquide : \[ v_\text{m}=xv_\ell+(1-x)v_\text{g} \quad\text{soit}\quad x=\frac{v_\text{m}-v_\text{g}}{v_\ell-v_\text{g}}=99{,}2\% \] Autrement-dit, sur les 10 kg de butane, 9,92 kg sont à l'état liquide, ce qui représente un volume \(V_\ell=9{,}92/573=17{,}3.10^{-3}\,\mathrm{m^3}=17{,}3\,\mathrm{L}\). Ainsi, le liquide occupe 56,6% du volume disponible.
Aspects énergétiques
Chaleur latente
Expérience
Plaçons de la glace dans un calorimètre à la pression atmosphérique, puis apportons de l'énergie thermique (par effet Joule par exemple). Traçons l'évolution de la température en fonction de l'énergie apportée. On observe un palier à la température de fusion durant laquelle le mélange s'enrichit en liquide : c'est la fusion.
La quantité d'énergie thermique qu'il a fallu fournir pour transformer intégralement la glace en eau liquide à la température de fusion est appelée chaleur latente de fusion. Si l'on procède à rebours, alors le système cède la même quantité d'énergie durant la solidification.
Définition — La chaleur latente \(L_{1\to 2}\) de changement d'état est le transfert thermique qu'il faut fournir pour effectuer un changement de phase \((1)\to (2)\), ceci à température constante et à la pression d'équilibre. Il s'agit donc d'une variation d'enthalpie : \[ L_{1\to 2}(T)=H_2(T,p_\text{eq}(T))-H_1(T,p_\text{eq}(T))\qquad\text{[en J]} \] Les tables fournissent généralement les chaleurs latentes massiques (en J.kg-1) ou molaires (en J.mol-1). La chaleur latente massique ne dépend que de la température puisque la pression de l'équilibre \((1)\rightleftharpoons(2)\) est fixée par la température.
Pour le corps pur, les chaleurs latentes de fusion, de vaporisation et de sublimation sont toutes positives : ces transformations puisent de l'énergie à l'extérieur. C'est par exemple ce qui explique pourquoi une bouteille de gaz en fonctionnement peu se recouvrir de givre. En effet, dans la bouteille de gaz en fonctionnement une partie du liquide se vaporise ce qui puisent de l'énergie thermique à la bouteille, provoquant ainsi son refroidissement. Si l'air extérieur est humide, du givre peut se former sur la bouteille.
Corps pur | CH4 | CH3CH2OH | H2O | NH3 | Pb | Si |
---|---|---|---|---|---|---|
\(\boldsymbol{\ell_\text{fus}}\) (kJ.kg) | 59 | 108 | 334 | 332 | 23,0 | 1790 |
\(\boldsymbol{\ell_\text{vap}}\) (kJ.kg) | 511 | 855 | 2264 | 1369 | 871 | 12,8.103 |
Les chaleurs latentes de solidification, de liquéfaction et de condensation, quant à elles correspondent aux valeurs opposées. Autrement dit, la solidification, la liquéfaction ainsi que la condensation s'accompagnent d'un dégagement de chaleur.
Mesures de chaleur latente
Chaleur latente de fusion — On peut déterminer la chaleur latente de fusion par calorimétrie. Prenons l'exemple de l'eau pour fixer les idées. Le protocole consiste à mettre une masse \(m_\ell\) de liquide dans un calorimètre. On attend que la température s'équilibre à une valeur \(T_1\) que l'on mesure. On ajoute ensuite une masse \(m_\text{s}\) de glace de température \(T_2<T_\text{fus}\). On mélange et on attend l'équilibre thermique. On se sera arrangé pour que les masses choisies permettent à la glace de fondre complètement. À la fin, on obtient de l'eau liquide à une température \(T_\text{eq}>T_\text{fus}\). La mesure des températures et des masses permet de déduire la chaleur latente si l'on connait les capacités thermiques.
Dans un premier temps, pour simplifier, imaginons le calorimètre parfait, c'est-à-dire adiabatique et de capacité thermique négligeable. Étudions la transformation du système formé par le calorimètre et son contenu. La transformation est monobare et adiabatique, d'où \[ Q_\text{p}=0=\Delta H \]
L'enthalpie étant une grandeur additive on a également \[ \Delta H=\Delta H_\text{calorimètre}+\Delta H_\text{liquide}+\Delta H_\text{solide} \] avec \(\Delta H_\text{calorimètre}=0\) puisque le calorimètre est de capacité négligeable. Le liquide se refroidit de \(T_1\) à \(T_\text{eq}\) de sorte que \(\Delta H_\text{liquide}=m_\ell c_{p,\ell}(T_\text{eq}-T_1)\). Quant à la glace, on peut toujours imaginer un chemin réversible qui amène la glace à la température de fusion, la fait fondre puis la réchauffe jusqu'à \(T_\text{eq}\). Ainsi, \(\Delta H_\text{solide}=m_\text{s} c_{p,\text{s}}(T_\text{fus}-T_2)+m_\text{s}\ell_\text{fus}+m_\text{s} c_{p,\ell}(T_\text{eq}-T_\text{fus})\). Finalement, le bilan d'énergie donne \[ \ell_\text{fus}= c_{p,\ell}\left[(T_\text{fus}-T_\text{eq})+\frac{m_\ell}{m_\text{s}}(T_1-T_\text{eq})\right]+ c_{p,\text{s}}(T_2-T_\text{fus}) \] Si le calorimètre présente une capacité thermique \(C\), il faut ajouter le terme \(\dfrac{C}{m_\text{s}}(T_1-T_\text{eq})\).
Chaleur latente de vaporisation — On utilise le dispositif de la Fig.11, dans lequel on vaporise le liquide en apportant de l'énergie thermique par effet Joule, et on recueille cette vapeur dans un bécher après l'avoir refroidie grâce à un réfrigérant. Choisissons comme système l'ensemble formé par le ballon, le liquide et la résistance électrique alimentée en alternatif. Ce système subit une transformation monobare.
En régime permanent, l'énergie électrique sert essentiellement à vaporiser le liquide. Faisons un bilan d'énergie entre les instants \(t\) et \(t+\tau\) durant lesquels une masse \(m\) s'est vaporisée : \[ \Delta H=W_\text{elec}+Q=\Delta H_\text{ballon}+\Delta H_\text{resistance}+\Delta H_\text{liq} \] avec :
- le travail électrique fourni \(W_\text{elec}=R{I_\text{eff}}^2\tau\) que l'on peut facilement mesurer ;
- les pertes thermiques représentées par \(Q\) \((Q<0)\) ;
- \(\Delta H_\text{ballon}=\Delta H_\text{resistance}=0\) puisque le ballon et la résistance restent à la même température une fois le régime permanent établi ;
- Enfin \(\Delta H_\text{liq}=m \ell_\text{vap}\).
On aboutit à la relation \[ R{I_\text{eff}}^2\tau+Q=m\ell_\text{vap} \] Cette équation présente deux inconnues : la chaleur latente \(\ell_\text{vap}\) et les pertes thermiques \(Q\). On réalise alors deux expériences avec des valeurs différentes d'intensité électrique, mais en fixant la même durée \(\tau\). Si l'on admet que le terme \(Q\) , on trouve deux équations à deux inconnues dont la résolution permet de déterminer \(Q\) et \(\ell_\text{vap}\).
Entropie de changement d'état
Le changement de phase s'accompagne d'un saut d'entropie que l'on peut relier à la chaleur latente. En effet, considérons un processus réversible isobare qui effectue une transition de phase à la température \(T\) et à la pression \(p_\text{eq}(T)\). Le second principe donne \[ \Delta S_{1\to 2}=S_2(T,p_\text{eq}(T))-S_1(T,p_\text{eq}(T))=\int_{T=\mathrm{C^{te}}}\frac{\delta Q_p}{T}=\frac{Q_p}{T} \] On en déduit, la relation \begin{equation} \fcolorbox{#FF9D00}{#FEF5EB}{\quad \(\displaystyle \Delta S_{1\to 2}(T)=\frac{L_{1\to 2}(T)}{T} \)\quad} \;\color{#FF9900}{\heartsuit} \end{equation} Cette relation implique que le signe de la chaleur latente est liée à celle de l'entropie de changement d'état. Si l'entropie augmente alors la chaleur latente est positive. Ainsi, un changement d'état vers une phase plus désordonnée absorbe de la chaleur
Exercice
Les tables thermodynamiques donnent pour l'eau les informations suivantes.
\(T\) (°C) | \(p_\text{sat}\) (atm) | \(h_\ell\) (J.g-1) | \(h_\text{g}\) (J.g-1) |
---|---|---|---|
100 | 1 | 419 | 2676 |
En déduire l'entropie massique de vaporisation de l'eau à 100°C.
Rép. \(\Delta s_\text{vap}(100\mathrm{°C})=6{,}05\,\mathrm{kJ.K^{-1}.kg^{-1}}\).
Diagramme des frigoristes
Nous avons rencontrés jusqu'ici différents diagrammes : le diagramme de Clapeyron (\(p-v\)), le diagramme d'Amagat (\(pV-p\)) et le diagramme \(p-T\). Le diagramme des frigoristes est un diagramme d'état où \(\ln(p)\) est en ordonnée et l'enthalpie massique \(h\) en abscisse. Ce diagramme est très utilisé dans l'étude des machines frigorifiques, d'où son nom.
Par exemple, la Fig.12 représente le diagramme des frigoristes pour l'eau. Le domaine limité par un trait discontinu correspond à l'équilibre liquide/vapeur. À gauche, on trouve le domaine de stabilité du , et à droite celui du gaz.
Sur ce diagramme, l'isotherme \(T=175\)°C est tracée. Le pallier AB correspond au domaine de coexistence des deux phases liquide et vapeur. Sa position verticale nous renseigne sur la pression de vapeur saturante (ici \(p_\text{sat}=9\,\mathrm{bar}\)). Sa largeur nous renseigne sur la chaleur latente puisque \[ \text{AB}=h_\text{g}-h_\ell=\ell_\text{vap}(T) \] On voit notamment que la chaleur latente diminue au fur et à mesure que l'on s'approche du point critique jusqu'a s'annuler au point critique.
L'enthalpie des phases condensées dépend faiblement de la pression de sorte qu'en première approximation \(h\simeq h(T)\) pour le liquide pur. C'est pourquoi la branche isotherme de gauche est quasi-verticale. De même, si l'on se place à faible pression et loin du point critique, le gaz est bien décrit par le modèle du gaz parfait. Dans ce cas, en vertu de la seconde loi de Joule, l'enthalpie ne dépend que de la température et l'isotherme est alors également verticale.
Dans le cas d'un mélange liquide/vapeur, si l'on connaît la position du système dans le diagramme, alors on peut en déduire la composition du mélange à l'aide de la règle des moments que l'on a déjà rencontrée. En effet, de part l'additivité de l'enthalpie on peut écrire \[ H_\text{M}=H_\ell+H_\text{g} \quad\text{soit}\quad (m_\ell+m_\text{g})\,h_\text{M}=m_\ell\, h_\ell+m_\text{g}\,h_\text{g} \] En divisant par la masse totale \((m_\ell+m_\text{g})\) et en utilisant \(x_\ell=1-x_\text{g}\), on obtient \[ h_\text{M}=x_\text{g}\,h_\text{g}+(1-x_\text{g})\,h_\ell \] Et si l'on fait intervenir les distances AM et AB (Fig.12), on trouve \[ x_\text{g}=\frac{h_\text{M}-h_\text{g}}{h_\ell-h_\text{g}}=\frac{\text{AM}}{\text{AB}} \]
Remarque
La règle des moments que l'on a déjà rencontrée se généralise. Si \(G\) est une grandeur extensive (énergie, enthalpie, entropie, volume) alors la grandeur massique \(g\) vérifie \[ g_\text{M}=x_1g_1+(1-x_1)g_2 \]
Quelques applications
Évaporation
L'évaporation est un lent processus de vaporisation dont on fait couramment l'expérience. Par exemple, le séchage du linge à l'air libre ou la thermorégulation des humains utilisent ce phénomène.
Imaginons de l'eau à 20°C dans une enceinte initialement vide dont le volume est supérieur au volume qu'occupe le liquide. En l'absence de pression extérieure, le liquide est manifestement instable. Très rapidement, des molécules d'eau passent à l'état vapeur ce qui augmente la pression extérieure. S'il y a suffisamment de liquide, le processus s'arrête dès la pression atteint la valeur de la pression de vapeur saturante, à savoir ici \(p_\text{sat}=23\,\mathrm{mbar}\).
Cet équilibre est en réalité le résultat de deux flux contraires qui se compensent.
- En effet, les molécules de la phase liquide ont une probabilité non nulle de passer dans la phase vapeur ce qui peut se résumer par le processus \(\mathsf{H_20}_{(\ell)}\to\mathsf{H_20}_{(\text{g})}\). Cette probabilité est d'autant plus élevée que la température est élevée .
- Les molécules de vapeur d'eau ont quant à elles la possibilité de migrer dans la phase liquide du fait des incessantes collisions avec l'interface liquide/vapeur. La probabilité de passer dans la phase liquide augmente ainsi avec la pression partielle en eau. C'est le processus \(\mathsf{H_20}_{(\text{g})}\to\mathsf{H_20}_{(\ell)}\)
À l'équilibre ces deux processus se compensent, ce qui explique pourquoi la pression d'équilibre ne dépend que de la température : \[ \mathsf{H_20}_{(\ell)} \rightleftharpoons \mathsf{H_20}_{(\text{g})} \qquad p_\text{sat}=f(T) \] Ouvrons maintenant l'enceinte de façon à mettre son contenu en contact avec de l'air sec à la pression atmosphérique. L'air emporte la vapeur d'eau ce qui diminue fortement la pression partielle en vapeur d'eau et brise l'équilibre. On déplace ainsi l'équilibre vers la droite en éliminant constamment la vapeur d'eau : \[ \mathsf{H_20}\xrightarrow[\text{d'équilibre}]{\text{déplacement}}\cancel{\mathsf{H_20}_\text{g}} \]
Au fil du temps, la quantité de liquide diminue : c'est l'évaporation.
Ce déséquilibre ne concerne que les molécules d'eau situées à l'interface entre les deux phases ce qui explique pourquoi l'évaporation est un phénomène lent. Quant aux molécules situées au sein du liquide, vu qu'elles sont soumises à une pression liquide de 1 atm, elles sont dans un état stable à 20°C, comme l'indique le diagramme de la Fig.13.
Cette évaporation s'accompagne d'une absorption de chaleur. Cette énergie thermique est surtout prélevée au liquide qui se refroidit donc. C'est sur ce principe que repose la régulation thermique des humains induit par la transpiration. Cette régulation thermique sera d'autant plus efficace que l'air est sec. Dans une atmosphère humide, en revanche, le processus d'évaporation est ralenti, voire bloqué si l'air est (\(p_\mathsf{H_20}=p_\text{sat}\)). Cela explique pourquoi une atmosphère humide et chaude est particulièrement difficile à supporter pour un .
Ébullition
Contrairement à l'évaporation, l'ébullition est un processus de vaporisation qui se développe en volume et de façon beaucoup plus rapide. De ce fait, les échanges thermiques mises en jeu sont beaucoup plus .
Imaginons un récipient contenant de l'eau liquide, posé sur une surface chauffante. Un gradient thermique s'installe alors entre le fond et la surface libre du liquide. Au sein du liquide la pression vaut sensiblement \(p=1\,\mathrm{atm}\) de sorte que les premières bulles apparaissent au fond dès que \(p=p_\text{sat}(T_\text{fond})\) c'est-à-dire dès que \(T_\text{fond}=100\)°C.
Du fait de la poussée d'Archimède, ces bulles entament une ascension au cours de laquelle la température décroît ce qui fait les fait disparaître. Pour qu'elles puissent atteindre la surface, il faut qu'il y règne une température au moins égale à 100°C. Dans ce cas, la surface devient le siège de remous provoquée par l'éclatement des bulles : on dit qu'il y a ébullition.
De manière générale, la température d'ébullition est définie par la relation \[ p_\text{sat}(T_\text{eb})=p_\text{atm} \] ce qui donne \(T_\text{eb}=100\)°C pour l'eau si \(p_\text{atm}=1\,\mathrm{atm}=1{,}013.10^5\,\mathrm{Pa}\). Puisque \(p_\text{sat}(T)\) est une fonction croissante de la température, on comprend pourquoi la température d'ébullition diminue quand on monte en altitude puisque la pression atmosphérique y est plus faible qu'au sol.
Remarque
L'ébullition est un processus complexe qui met en jeu les phénomènes de tension de surface, de convection, de coalescence et d'instabilité hydrodynamique. Pour en savoir plus, voir [2]
Stockage des fluides
Si l'on veut stocker un fluide qui se présente à l'état gazeux dans les conditions usuelles de pression et de température, on a intérêt, pour limiter son encombrement, à le mettre dans un état le plus condensé possible. Deux possibilités s'offrent à nous.
- Réduire la température — Il s'agit de stocker le fluide à l'état liquide en diminuant sa température (chemin E1→E2 sur la Fig.14). On le conserve dans un conteneur cryogénique aux parois adiabatiques qui présente une petite ouverture afin d'assurer une pression constante (pour des raisons de sécurité). L'isolation thermique n'étant pas parfaite, une partie du liquide s'évapore ce qui limite le temps de conservation. Cette technique est courante pour l'azote et l'oxygène.
- Augmenter la pression — On stocke le fluide sous haute pression et à température ambiante dans une bouteille hermétique supportant les fortes pressions (chemin E1→E3 sur la Fig.14). Si la température ambiante est supérieure à la température critique, le fuide se trouve dans l'état hypercritique. Sinon le fluide est sous la forme d'un mélange liquide/gaz à la pression de vapeur saturante. Dans ce cas, on est tenté de diminuer le volume massique pour stocker le maximum de fluide, mais il faut prendre garde aux problèmes de sécurité. En effet, si le volume massique est inférieur au volume critique \(v_\text{c}\), une élévation accidentelle de température de l'environnement peut entrainer la liquéfaction complète du liquide et une augmentation considérable de la pression, d'où le risque d'explosion. Alors que si \(v>v_\text{c}\), une augmentation accidentelle de température entrainera la vaporisation complète et une moindre augmentation de pression, le gaz étant compressible (Fig.15). Les bouteilles de butane et de propane comme source de carburant domestique, ou les extincteurs à CO2 utilisent cette technique.
Pour en savoir plus...
- Transfert thermique[en ligne], 2014. Disponible sur femto-physique.fr
- Les Mécanismes de l’ébullition [Vidéo], CERIMES, 1989. Disponible sur canal-u.tv
- TP: Chaleur latente de vaporisation de l'eau[en ligne], Disponible sur nicole.cortial.net