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MENUCours de Mécanique classique

L'étude des rebonds d'une balle rebondissante sur un sol horizontal permet de mesurer le coefficient de restitution associé aux chocs ainsi que le champ de pesanteur. Nous proposons ici un protocole expérimental simple à mettre en place grâce à l'emploi d'un smartphone. En prime, on verra comment cela permet de déterminer le champ de pesanteur avec une précision meilleure que 1%.

Introduction

Les smartphones ont envahi notre quotidien ; pourtant ses capacités sont souvent sous-exploitées. Dans le cadre de l'enseignement des Sciences-Physiques le smartphone peut devenir un précieux partenaire qui facilite l'implication des élèves dans l'approche expérimentale. Afin d'illustrer l'utilisation des smartphones en sciences, nous proposons ici une expérience de mécanique autour du phénomène de rebonds d'une balle sur un sol horizontal.

Nous détaillons ici le protocole expérimental, la modélisation théorique, le traitement des mesures puis terminons par une discussion sur des différentes sources d'erreur.

Réalisation de l'expérience

Ce qu'il nous faut

Le matériel nécessaire se résume à  :

Protocole

dispositif expérimental

L'expérience consiste à laisser tomber la balle d'une hauteur initiale \(h_0\) dans le champ de pesanteur terrestre \(\overrightarrow{g}\) puis d'enregistrer à l'aide d'un smartphone posé sur un sol horizontal le son produit par les différentes collisions.

  1. Fixer le pointeur laser sur une potence de façon à ce qu'il produise un faisceau horizontal.
  2. Allumer le laser puis mesurer, à l'aide de la règle, la hauteur \(h_0\) entre le sol et le faisceau.
  3. Placer le smartphone au niveau du sol. Ouvrir l'application dictaphone et passer en mode enregistrement.
  4. Placer la balle de façon à ce que le faisceau laser soit juste au niveau de sa partie inférieure. Lâcher la balle. Elle entame alors une série de rebonds dont le bruit est enregistré sur le smartphone.

Il ne nous reste plus qu'à analyser ce bruit...

Mesures

Munis d'une balle de diamètre \(D=35\,\mathrm{mm}\) et de masse \(m=25\,\mathrm{g}\), nous avons réalisé l'expérience en la lâchant d'une hauteur \(h_0=869\,\mathrm{mm}\). On obtient l'enregistrement suivant :



À l'aide d'un logiciel comme AUDACITY, il est facile d'obtenir sa forme d'onde (waveform en anglais).

wave sound correspondant aux rebonds
forme d'onde de l'enregistrement.

On y voit une série de signaux correspondant aux différents chocs. La mesure qui nous intéresse est la durée entre deux chocs successifs. On appelle \(t_1\) l'instant du premier choc et \(T_1\) la durée du premier rebond. De même \(t_n\) est l'instant du n-ième choc et \(T_n\) la durée du n-ième rebond avec \(T_n=t_{n+1}-t_n\). Mettons nos résultats dans un tableau.

n1234567
tn (s) 1,689 2,455 3,151 3,784 4,358 4,882 5,362
Tn (s) 0,766 0,696 0,633 0,574 0,524 0,480 --

On constate que la durée des rebonds décroit. En effet, la balle perd une partie de son énergie cinétique à chaque choc ce qui diminue la hauteur d'ascension et donc la durée des rebonds.

Remarque

Pour mesurer les instants du choc nous avons repéré les instants correspondant aux différents pics du signal. Cependant, la mesure est incertaine dans le sens où le choc n'est pas instantané. On estime que les valeurs vraies se situent dans un intervalle de largeur 2 ms de sorte que les instants \(t_n\) présentent une incertitude-type \[ \sigma_t\simeq \frac{2}{\sqrt{12}}=0{,}6\,\mathrm{ms} \] La durée \(T_n\) présente donc une incertitude-type de l'ordre de 0,8 ms (\(\sigma_{T}=\sqrt 2 \sigma_{t}\)).

Exploitation des mesures

Un peu de théorie

Nos mesures mettent en évidence le fait qu'à chaque collision, une partie de l'énergie incidente de la balle est dissipée. On modélise alors ce caractère inélastique des collisions à l'aide du coefficient de restitution \(\varepsilon\) défini par \[ \varepsilon \stackrel{\text{def}}= \frac{v_{\text{après}}}{v_{\text{avant}}} \quad\text{avec}\quad 0\leq \varepsilon<1 \]

Nous supposons, d'une part que ce coefficient prend la même valeur à chaque collision, d'autre part que les frottements dus à l'air sont négligeables entre deux rebonds (cf. Analyse des erreurs). Appelons \(v_n\) la vitesse à la fin du n-ième rebond (c'est-à-dire juste avant le n+1-ème choc) et \(h_n\) la hauteur du n-ième rebond. En vertu des lois classiques de la chute libre, on a \[ v_n=\sqrt{2gh_n} \] Par conséquent, \[ \frac{h_{n+1}}{h_n}=\left(\frac{v_{n+1}}{v_n}\right)^2=\varepsilon^2 \] Par récurrence on en déduit la relation \[ h_n=\varepsilon^{2n}h_0 \] La hauteur des rebonds décroit en suivant une progression géométrique de raison \(\varepsilon^2\).

Par ailleurs, la durée d'un rebond correspond à 2 fois la durée d'une chute libre de hauteur \(h_n\), soit \[ T_n=2\times\sqrt{\frac{2h_n}{g}}=2T_0\,\varepsilon^n \quad\text{avec}\quad T_0=\sqrt{\frac{2h_0}{g}} \] où \(T_0\) désigne le temps de chute libre d'une hauteur \(h_0\). Finalement la durée suit également une progression géométrique, mais de raison \(\varepsilon\). Une façon commode de mettre en évidence cette loi est de porter \(Y=\ln T_n\) en fonction de \(n\) : les points doivent théoriquement se répartir sur une droite d'équation \[ Y=an+b \quad\text{avec}\quad a=\ln \varepsilon \quad\text{et}\quad b=\ln(2T_0) \]

Portons donc \(Y\) en fonction de \(n\) puis cherchons par régression linéaire la droite qui s'ajuste au mieux avec les points à l'aide de la méthode classique des . De nombreux logiciels réalisent ce type de régression ; voici ce que donne un programme Python (cf. Feuille Python) :

Le modèle théorique est vérifié

On peut vérifier que les écarts à la droite de régression sont comparables aux barres d'erreur (\(\pm\mathsf{u}(Y)\)). En d'autres termes, les mesures avec nos prévisions théoriques. Il nous reste alors à déduire le coefficient de restitution et la valeur du champ de pesanteur.

Détermination du facteur de restitution

Théoriquement, on prévoit \(a=\ln \varepsilon\). Le logiciel \(a=(-942{,}6\pm 8{,}2)\times 10^{-4}\) ce qui donne

\[ \boxed{\varepsilon=\mathrm{e}^a= (91,00 \pm 0{,}07) \% \quad\text{(niveau de confiance : 95\%)}} \]

Autrement dit, la balle perd 9% de sa vitesse à chaque fois qu'elle rencontre le sol.

Determination du champ de pesanteur

L'ordonnée à l'origine \(b\) permet d'obtenir assez précisément la durée \(T_0\) correspondant à une chute de hauteur \(h_0\). Le logiciel fournit \(b=(-173{,}8\pm 2{,}8)\times 10^{-3}\) ce qui donne \[ T_0=\frac12 \mathrm{e}^b=420{,}3\pm 1{,}2\,\mathrm{ms} \] On obtient ainsi le temps de chute avec une excelente précision ! De cette mesure on déduit la valeur de \(g\) via \[ g=\frac{2h_0}{{T_0}^2}=9,84\,\mathrm{m.s^{-2}} \] Un calcul de propagation d'erreurs permet d'obtenir l'incertitude élargie sur la mesure de \(g\) à partir de celles sur \(h_0\) et \(T_0\) : \[ \mathsf{U}(g)=g\sqrt{\left(\frac{\mathsf{U}(h_0)}{h_0}\right)^2+\left(2\frac{\mathsf{U}(T_0)}{T_0}\right)^2} \] Pour \(h_0\), la règle étant graduée au millimètre près, on estime (mesure de type B[3]) l'incertitude élargie par \(\mathsf{U}(h_0)=1\,\mathrm{mm}/\sqrt{3}\). Finalement, on trouve

\[ \boxed{ g=9,841\pm 0,055\;\mathrm{m.s^{-2}} \quad\text{(niveau de confiance : 95\%)}} \]

On pourrait considérer cette mesure tout a fait correcte au regard de la valeur tabulée (9,81 m.s-2 à Rennes). Toutefois, une analyse plus approfondie permet de mettre en évidence un léger biais dû aux frottements et à la poussé d'Archimède comme nous allons le voir par la suite.

Analyse des erreurs

Le signal enregistré est échantillonné à une fréquence de 44 kHz de sorte que la résolution temporelle est de l'ordre de 0,02 ms. Cependant il ne faudrait pas conclure que cela fixe la précision des mesures. En effet, comme on l'a déjà signalé, le choc n'est pas instantané : sur l'enregistrement on peut observer qu'à chaque rebond le signal met environ 1 ms à atteindre un maximum (le pic acoustique). C'est pourquoi, on ne peut espérer obtenir une meilleure précision sur le temps de collision.

Ceci étant dit, il faut quand même s'assurer que les simplifications théoriques du modèle ne produisent pas un biais sur le temps supérieur à la milli-seconde. Passons donc en revue les différents sources d'erreur.

Le mouvement de la balle n'est pas vertical

En effet, la balle a la fâcheuse tendance à dériver horizontalement. Bien sûr, cela ne modifie pas la dynamique du mouvement vertical ; en revanche, compte tenu que la vitesse du son est finie (\(c=340\,\mathrm{m.s^{-1}}\)), cela produit un retard (ou une avance) dans la détection du signal. Estimons ce décalage temporel. Si l'on note \(\Delta x\) le déplacement horizontal entre deux rebonds, le décalage temporel \(\Delta t\) lié à la propagation du son vérifie \[ |\Delta t| \leq \frac{\Delta x}{c} \] En pratique, il n'est pas difficile d'observer des rebonds tels que que \(\Delta x <10\,\mathrm{cm}\) de sorte que \(|\Delta t|<0,3\,\mathrm{ms}\). Ce biais passe donc inaperçu compte tenu de la précision des mesures (rappelons que ce sont les variances des erreurs qui s'ajoutent[3,4]).

Et les frottements de l'air ?

Entre deux collisions, la balle subit également une force de frottement (traînée aérodynamique) de la part de l'air ce qui produit un biais par rapport aux prévisions théoriques que l'on peut estimer. Tout d'abord, on peut facilement se convaincre que c'est l'action de la pesanteur qui prédomine devant les frottements. En effet, la balle pèse 25 g d'où un poids \(P=0,25\,\mathrm{N}\). Quant aux frottements, ils sont assez bien décrit par la loi quadratique \(F=\frac{1}{2}\rho_\text{air}SC_x\,v^2\). Lors du premier rebond, la vitesse de rebond vaut \(v_1=1/2gT_1=3{,}8\,\mathrm{m.s^{-1}}\) soit, avec un coefficient de traînée \(C_x=0{,}47\), un rapport de force \[ \varphi=\frac{F}{P}\simeq \frac{0{,}004}{0,25}=0,017\ll 1 \] Comme attendu, la pesanteur prédomine largement. Dans ce contexte, on peut montrer, à partir d'un raisonnement perturbatif, que les frottements diminuent légèrement la durée des rebonds suivant la loi \[ T'_n=T_n\left(1-\frac{\varphi_n}{4}\right) \quad\text{avec}\quad \varphi_n=\frac{\frac{1}{2}\rho_\text{air}SC_x\,v_n^2}{mg} \] où \(T'_n\) est la durée des rebonds en présence des frottements et \(T_n\) en leur absence (ce que l'on veut, donc).

Considérons une balle de masse \(m\) que l'on lance vers le haut depuis le sol avec une vitesse initiale \(v_0\). Estimons le temps \(T\) de la première collision en considérant un frottement de l'air \(F=\alpha v^2\) faible devant le poids. Rappelons que si l'on néglige les frottements, le temps de première collision que l'on notera \(T_0\) vérifie la relation \(v_0=\frac12 gT_0\).

En présence de frottements l'équation du mouvement s'écrit \[ m\frac{\mathrm{d}v}{\mathrm{d}t}=-mg-\alpha|v|v \] Utilisons la méthode des perturbations pour résoudre cette équation différentielle. Rappelons que cela consiste à remplacer \(v\) dans le terme perturbateur par ce que l'on obtient lorsque l'on néglige le terme perturbateur, à savoir \(v=v_0-gt\). On a donc \[ \frac{\mathrm{d}v}{\mathrm{d}t}=-g-\frac{\alpha}{m}|v_0-gt|(v_0-gt) \] Une double intégration permet d'accéder à l'altitude \(z(t)\). On trouve \[ z(t)= v_0t-\frac12 gt^2+\frac{\alpha}{12mg^2}\left({v_0}^4- \left|v_0-gt\right|(v_0-gt)^3\right)-\frac{\alpha{v_0}^3}{3mg}t \] Il suffit maintenant de résoudre l'équation \(z(T)=0\) ce qui donne \[ v_0T-\frac12 gT^2+\frac{\alpha}{12 mg^2} \left({v_0}^4+(v_0-gT)^4\right)-\frac{\alpha{v_0}^3}{3mg}T=0 \] Compte tenu du faible effet des frottements posons \[ T=T_0+\delta t \quad\text{avec}\quad \delta t \ll T_0 \] On peut alors approcher \({v_0}^4+(v_0-gT)^4\) par \(2{v_0}^4\) et \(T^2\) par \({T_0}^2+2T_0\delta t\) de sorte que l'équation précédente donne, après quelques simplifications : \[ \delta t=-T_0\frac{\alpha {v_0}^2}{4mg} \quad\text{soit}\quad T=T_0\left(1-\frac{\alpha {v_0}^2}{4mg}\right) \]

Il s'agit là d'une erreur systématique comparable à la précision des mesures. Rigoureusement, il faut donc procéder à une correction des mesures (cf. tableau suivant).

n123456
T'n (s) 0,766 0,696 0,633 0,574 0,524 0,480
vn (m/s) 3,8 3,4 3,1 2,8 2,6 2,35
Tn (s) 0,7692 0,6983 0,6347 0,5753 0,5250 0,4808

Avec ces données corrigés, on trouve une nouvelle valeur de g (Feuille de calcul Python) : \[ \boxed{ g=9,757\pm 0,055\;\mathrm{m.s^{-2}} \quad\text{(niveau de confiance : 95\%)} } \]

Correction de la poussée d'Archimède

En réalité, lors de sa chute la balle subit aussi la poussée d'Archimède. Ajouté au poids, cela donne une force \[ \overrightarrow{F}=m\overrightarrow{g}-m_\text{air}\overrightarrow{g} \] où \(m_\text{air}\) est la masse d'air déplacé par le volume de la balle. Si l'on note \(\rho\) la masse volumique de la balle et \(\rho_\text{air}\) celle de l'air, on trouve \[ \overrightarrow{F}=m\overrightarrow{g}\left(1-\frac{\rho_\text{air}}{\rho}\right) \] Il faut donc diviser par \(\left(1-\frac{\rho_\text{air}}{\rho}\right)\) pour corriger l'effet de la poussée d'Archimède. On obtient

Résultat définitif

\[ g=9,767\pm 0,055\;\mathrm{m.s^{-2}} \quad\text{(niveau de confiance : 95\%)} \]

Conclusion

Finalement, avec un protocole expérimental assez simple et une modélisation à la portée d'un lycéen, on peut déterminer le champ de pesanteur avec une assez bonne précision. De surcroît on met en évidence le phénomène de choc inélastique modélisé par la notion de coefficient de restitution.

Pour en savoir plus...

  1. O. Schwarz et al. Acoustic measurements of bouncing balls and the determination of gravitational acceleration The Physics Teachervol. 51, p. 312-313, 2013.
  2. C.E Aguiar et al. Listening to the coefficient of restitution and the gravitationnal acceleration of a bouncing ball Am.J.Phys.vol. 71, mai 2003.
  3. J. Taylor Incertitudes et analyse des erreurs dans les mesures physiquesParis, Dunod, 2000.
  4. F-X BALLY et al. Incertitudes expérimentales ENS, Université ParisParis, 2010.
  5. D. Beaufils et al. Régression linéaire et incertitudes expérimentales Bull. Un. Physp1361-1376, 1997.