Nous constatons tous les jours que, dans les conditions ordinaires, les lois sur les gaz moléculaires ne dépendent pas de la nature (bosons ou fermions) des particules. La raison est liée au fait que l'on peut utiliser l'approximation de Maxwell-Boltzmann pour déterminer la fonction de partition du gaz parfait. Nous revenons ici en détail sur cette approximation ainsi que sur ces conditions de validité.
Fermions et bosons
La mécanique quantique nous enseigne que l'on ne peut pas distinguer les particules d'un système de \(N\) particules identiques occupant des états délocalisés. On dit que les particules sont indiscernables.
On rencontre notamment cette situation lors de l'étude :
- des états de translation dans un gaz moléculaire (théorie du gaz parfait) ;
- des états de translation dans un fluide d'électrons de conduction (théorie du métal) ;
- des états associés à un gaz de photon (théorie du rayonnement du corps noir).
De cette indiscernabilité il découle que l'état du système n'est pas changé si l'on permute deux particules. Ainsi la fonction d'onde \(\Psi(\overrightarrow{r_{1}},...,\overrightarrow{r_{N}})\) du système vérifie la propriété suivante : \[ \left| \Psi(\overrightarrow{r_{1}},...,\overrightarrow{r_{i}},...,\overrightarrow{r_{j}},...\overrightarrow{r_{N}}) \right|^{2} = \left| \Psi(\overrightarrow{r_{1}},...,\overrightarrow{r_{j}},...,\overrightarrow{r_{i}},...\overrightarrow{r_{N}}) \right|^{2} \] Deux cas se présentent alors :
- La fonction d'onde est anti-symétrique vis à vis d'une permutation : \[ \Psi(\overrightarrow{r_{1}}...,\overrightarrow{r_{i}},...,\overrightarrow{r_{j}},...,\overrightarrow{r_{N}})=-\Psi(\overrightarrow{r_{1}}...,\overrightarrow{r_{j}},...,\overrightarrow{r_{i}},...,\overrightarrow{r_{N}}) \] Les particules ayant cette propriété sont appelés .
- La fonction d'onde est symétrique vis à vis d'une permutation : \[ \Psi(\overrightarrow{r_{1}}...,\overrightarrow{r_{i}},...,\overrightarrow{r_{j}},...,\overrightarrow{r_{N}})=\Psi(\overrightarrow{r_{1}}...,\overrightarrow{r_{j}},...,\overrightarrow{r_{i}},...,\overrightarrow{r_{N}}) \] Les particules ayant cette propriété sont appelés .
Dans la nature les particules sont, soit des fermions, soit des bosons. Tout dépend de leur spin.
Lorsqu'une particule possède un spin demi-entier, il s'agit d'un fermion. On peut citer comme exemples, l'électron (\(S=1/2\)), le proton (\(S=1/2\)), le neutron (\(S=1/2\)), l'atome d'hélium \(^{3}\mathrm{He}\) (\(S=1/2\)), etc. Les fermions obéissent au
Principe d'exclusion de Pauli
Deux fermions identiques ne peuvent être dans le même état quantique.
Lorsqu'une particule possède un spin entier, il s'agit d'un boson. C'est le cas par exemple, du photon \((S=1)\), de l'atome d'helium \(^{4}\mathrm{He}\) (\(S=0\)), du boson de Higgs (\(S=0\)), etc. Les bosons ne sont pas soumis au principe d'exclusion de Pauli et peuvent donc occuper le même état.
Approximation de Maxwell-Boltzmann
Considérons un gaz de \(N\) particules identiques et indépendantes délocalisées dans un volume \(V\). Rigoureusement, un gaz de bosons n'a pas le même comportement qu'un gaz de fermions. Par exemple, si l'on abaisse la température d'un système de bosons identiques et indépendants, ceux ci pourront s'agglutiner sur le niveau fondamental alors que les électrons ne le pourront pas. Ce phénomène de condensation collective propre aux bosons est appelé et explique le phénomène de superfluidité. Cette différence fondamentale entre fermions et bosons peut être négligée dans certaines conditions. En effet, à haute température et basse pression, la probabilité que deux particules occupent le même état est négligeable. Le principe de Pauli se trouve alors respecté de facto, aussi bien pour les bosons que pour les fermions. Dans ces conditions, dites classiques, les deux comportements tendent vers un comportement limite commun que l'on décrit par l'approximation de Maxwell-Boltzmann.
Dans ce cadre approximatif qui consiste à négliger la probabilité que deux particules occupent le même état, la fonction de partition \(Z\) du système s'exprime simplement à l'aide de la fonction de partition individuelle \(z\) et \(N\). En effet, notons \(\epsilon_{i}\) les niveaux d'énergie (que nous supposerons non dégénérés pour simplifier) et \(n_{i}\) le nombre de particules sur le niveau \(\epsilon_{i}\). On a bien sûr \[ N=\sum_{\rm niveaux} n_{i} \quad\text{et}\quad E_{\{n_{i}\}}=\sum_i n_i\epsilon_{i} \] où \(\{n_{i}\}\) représente une configuration \(\{n_{1,}\, n_{2},\,...\}\).
- Si les particules sont discernables, il existe de nombreux états différents qui correspondent à la même configuration \(\{n_{i}\}\). Par exemple, si l'on permute les particules, les états sont différents mais l'énergie ne change pas. Posons \(\omega_{\text{disc}}(\{n_{i}\})\), le nombre de façons de placer \(n_{1}\) particules discernables sur le niveau \(\epsilon_{1}\), \(n_{2}\) sur \(\epsilon_{2}\), etc. Tout d'abord, il y a \(N\) façons de choisir la première particule que l'on va placer sur le niveau \(\epsilon_1\). Ensuite, il nous reste \((N-1)\) façons d'en choisir une deuxième etc. À la fin, on trouve \(N!\) façons de disposer les particules sur les niveaux. Cependant, lorsque l'on permute les particules d'un même niveau cela ne change pas l'état du système. Il faut donc diviser par \(n_i!\), ceci pour tous les niveaux, pour obtenir le nombre d'états différents. On trouve donc \[ \omega_{\text{disc}}(\{n_{i}\})=\frac{N!}{n_{1}!n_{2}!n_{3}!...} \] états différents correspondant à une configuration \(\{n_{i}\}\). Ainsi la fonction de partition, dans le cas discernable peut s'écrire \[ Z_\text{disc}=\sum_{\{n_{i}\}} \omega_\text{disc}(\{n_{i}\}) \,\mathrm{e}^{-\beta E_{\{n_{i}\}}}= \sum_{\{n_{i}\}}\frac{N!}{\prod_{i}n_{i}!}\mathrm{e}^{-\beta \sum_{i}n_{i}\epsilon_{i}} \]
- Si les particules sont indiscernables, toute permutation laisse invariant l'état du système. Autrement dit, \(\omega_{\text{indisc}}(\{n_{i}\})=1\). Par conséquent, \[ Z_\text{indisc}=\sum_{\{n_{i}\}}\mathrm{e}^{-\beta \sum_{i}n_{i}\epsilon_{i}} \]
Dans le cadre de l'approximation de Maxwell-Boltzmann, la probabilité que deux particules occupent le même état est négligeable, de sorte que tous les \(n_{i}\) valent 0 ou 1. On a donc \[ Z_\text{disc}=\sum_{\{n_{i}\}} N!\,\mathrm{e}^{-\beta \sum_{i}n_{i}\epsilon_{i}} \quad\text{et}\quad Z_\text{indisc}=\sum_{\{n_{i}\}} \mathrm{e}^{-\beta \sum_{i}n_{i}\epsilon_{i}} \] soit \(Z_\text{disc}=N!\,Z_\text{indisc}\). Par ailleurs, on sait[1] que la fonction de partition d'un système de \(N\) particules indépendantes, identiques et discernables vaut \(Z_\text{disc}=z^{N}\), avec \(z\) la fonction de partition particulaire. Finalement, la fonction de partition de \(N\) particules indépendantes et indiscernables s'écrit
Approximation de Maxwell-Boltzmann
\begin{equation} Z_\text{indisc}=\frac{1}{N!}\,z^{N} \end{equation}
Validité de l'approximation classique
Cherchons à quelle condition l'approximation de Maxwell-Boltzmann est valide. Pour cela, traitons l'exemple simple d'un gaz de \(N=2\) particules indiscernables indépendantes enfermées dans une boîte de volume \(V\) à la température \(T\) et calculons la fonction de partition selon que les particules sont des bosons ou fermions. On note \(\epsilon_{i}\) les niveaux d'énergie et \(E_{ij}\) l'énergie du gaz lorsqu'une particule se trouve sur le niveau \(\epsilon_i\) et l'autre sur le niveau \(\epsilon_j\).
Cas d'un gaz de 2 bosons
L'énergie du système vaut \(E_{ij}=\epsilon_{i}+\epsilon_{j}\) lorsque \(i\neq j\) et \(E_{ii}=2\epsilon_{i}\) lorsque les deux bosons occupent le même niveau. On a donc \[ Z_\text{B} = \sum_{i,j\neq i}\frac{1}{2!}\mathrm{e}^{-\beta (\epsilon_{i}+\epsilon_{j})}+ \sum_{i}\mathrm{e}^{-2\beta \epsilon_{i}}= \sum_{i,j\neq i}\frac{1}{2!}\mathrm{e}^{-\beta \epsilon_{i}}\times\mathrm{e}^{-\beta \epsilon_{j}}+\sum_{i}\mathrm{e}^{-2\beta \epsilon_{i}} \] le facteur \(\frac{1}{2!}\) permet de tenir compte de l'indiscernabilité (permuter les deux bosons ne change pas l'état du système). De plus, si l'on utilise l'identité \(\sum_{i}x_{i}\sum_{j}x_{j}=\sum_{i,j\neq i}x_{i}x_{j}+\sum_{i}x_{i}^{2}\), on obtient \[ Z_\text{B}=\dfrac{1}{2}\left[z^{2}(\beta,V)+z(2\beta,V)\right] \quad\text{avec}\quad z(\beta,V)=\sum_i \mathrm{e}^{-\beta \epsilon_i} \]
Cas d'un gaz de 2 fermions
Ici, l'énergie du système s'écrit \(E=\epsilon_{i}+\epsilon_{j}\) avec \(i\neq j\) puisque les fermions ne peuvent pas occuper le même état (on suppose toujours pour simplifier qu'il y a un état par niveau). La fonction de partition vaut alors \[ Z_\text{F}=\sum_{i,j\neq i}\frac{1}{2!}\,\mathrm{e}^{-\beta\epsilon_{i}}\times\mathrm{e}^{-\beta\epsilon_{j}}= \frac{1}{2!}\sum_{i}\mathrm{e}^{-\beta\epsilon_{i}}\times\sum_{j}\mathrm{e}^{-\beta\epsilon_{j}}- \frac{1}{2!}\sum_{i}\mathrm{e}^{-2\beta\epsilon_i} \] Autrement dit \[ Z_\text{F}=\dfrac{1}{2}\left[z^{2}(\beta,V)-z(2\beta,V)\right] \]
Conclusion
D'après la formule (1), l'approximation classique donne \[ Z_\text{MB}=\frac{1}{2!}\,z^{2}(\beta,V) \] On voit sur cet exemple que \(Z_\text{F}\) et \(Z_\text{B}\) tendent vers \(Z_\text{MB}\) si
On a déjà montré que la fonction de partition d'une particule enfermée dans une boite de volume \(V\), vaut \[ z=\left(2\pi m k_B T\right)^{3/2}\frac{V}{h^3}=\frac{V}{\lambda_{\rm th}^{3}} \] où \(\lambda_\text{th}=\frac{h}{\sqrt{2\pi mk_{B}T}}\) est la longueur d'onde thermique de De Broglie. Ainsi, la condition de validité (2) équivaut à \[ \frac{V}{2\sqrt{2}{\lambda_\text{th}}^3}\ll \frac{V^2}{{\lambda_\text{th}}^6} \quad\text{soit}\quad \lambda_\text{th} \ll V^{1/3} \] Ce résultat se généralise pour un gaz de \(N\) particules. On montre qu'il faut alors remplacer \(V\) par le volume rapporté au nombre de particules :
Condition de validité de l'approximation de Maxwell-Boltzmann
\begin{equation} \lambda_\text{th}\ll \left(\frac{V}{N}\right)^{1/3}=d \end{equation}
où \(d\) représente la distance inter-particules. En d'autres termes, les effets quantiques interviennent lorsque la longueur d'onde de De Broglie devient comparable ou supérieur à la distance moyenne qui sépare les particules.
Étudions quelques cas.
- Pour un fluide d'électrons libres dans un cristal de cuivre (à \(300\;\mathrm{K}\)), on a \(\lambda_\text{th}\sim 1\;\mathrm{nm}\) et \(d\sim 0,1\;\mathrm{nm}\) (maille du réseau). La condition (3) n'est pas remplie. Les effets quantiques sont donc importants.
- Pour un gaz parfait d'Hélium 4, on a :
- à \(300\;\mathrm{K}\) sous 1 bar, \(d\sim 1\;\mathrm{nm}\) et \(\lambda_\text{th}\sim 10^{-11}\;\mathrm{m}\). Les effets quantiques sont donc négligeables et l'approximation de Maxwell-Boltzmann suffisante.
- En revanche, à \(1\;\mathrm{K}\) et sous 1 bar on obtient \(d\sim 10^{-10}\;\mathrm{m}\) et \(\lambda_\text{th}\sim 1\;\mathrm{nm}\). Les effets quantiques sont prépondérants à très basse température.
En conclusion, on retiendra que pour un gaz moléculaire, si la température est supérieure à quelques dizaines de kelvin, les effets quantiques sont négligeables. Le caractère fermionique ou bosonique n'est visible qu'aux basses températures. En revanche, pour un fluide d'électrons, de part la faible masse de l'électron, le caractère quantique est primordial même aux températures ambiantes. La loi du gaz parfait est alors inopérante.
Pour en savoir plus...
- Systèmes thermalisés[en ligne], 2013. Disponible sur femto-physique.fr
- Physique statistiqueHermann, 1989.