La connaissance progresse en intégrant en elle l'incertitude, non en l'exorcisantEdgar Morin
Accéder à une valeur objective de la réalité sans erreur est tout simplement impossible. L'erreur fait partie de l'opération de mesure. Une des forces de la science est d'avoir mis au point des outils qui permettent d'estimer cette erreur.
Mesurer c'est évaluer
Notion d'erreur et d'incertitude
Expérience
Mesurons, à l'aide d'un chronomètre, la durée correspondant à 2,5 périodes d'oscillation d'un pendule simple (5 passages à la verticale). En faisant faire cette même mesure par différents élèves on trouve
mesure n° | 1 | 2 | 3 | 4 |
---|---|---|---|---|
durée | 3,62 s | 3,47 s | 3,44 s | 3,30 s |
L'expérience précédente montre que les résultats sont différents ce qui traduit l'existence d'erreurs de mesure. L'erreur faite lors de la mesure d'une grandeur est l’écart entre la valeur mesurée () et sa valeur vraie (), laquelle est unique mais inaccessible. Elle présente deux composantes ; une aléatoire, l'autre systématique.
- L'erreur aléatoire provient des variations temporelles et spatiales non prévisibles de grandeurs d'influence (soin des mesures, température de la pièce, fidélité de l'appareil de mesure, etc.). Elle est définie par où est la moyenne des mesures obtenue en répétant fois la même expérience avec .
- L'erreur systématique (ou biais) est un décalage constant dont l'origine peut être d'ordre théorique ou expérimentale (influence du mode opératoire, problème de calibrage d'un appareil, modélisation incomplète, etc.). Par définition, Ainsi, l'erreur sur une mesure est la somme d'un biais et d'une quantité aléatoire :
Exemple
Dans l'expérience précédente on peut lister les différentes sources d'erreur :
Erreur aléatoire | Erreur systématique (biais) |
---|---|
réflexe humain | défaut de parallaxe |
fidélité limité du chronomètre | chronomètre mal calibrés |
erreur de lecture | verticale mal positionnée |
Bien qu'il ne soit pas possible de compenser l'erreur aléatoire faite sur une mesure, elle peut être réduite en augmentant le nombre d'observations comme nous allons le voir. En revanche, l'erreur systématique d'un résultat de mesure ne peut être réduite en augmentant le nombre d'observations, mais par l'application d'une correction.
Le résultat final est exprimé sous la forme d’un intervalle de valeurs probables où est la mesure, c'est-à-dire la meilleure estimation de la valeur vraie et l'incertitude sur la mesure que l'on cherche à évaluer. Plus précisément l'intervalle est défini comme un intervalle de confiance associé à une probabilité de contenir la valeur vraie . Cette probabilité est appelé niveau de confiance.
Exemple
La masse de l'électron vaut (CODATA 2010) avec un niveau de confiance de 68%.
Insistons sur le fait que sans incertitude il nous est impossible de comparer deux résultats ou de réfuter une loi. Pour qu'un résultat ait une valeur scientifique il faut pouvoir prouver que les éventuels écarts entre la théorie et l'expérience sont non significatifs c'est-à-dire liés aux erreurs de mesure ce qui rend nécessaire l'estimation des incertitudes.
Écriture scientifique
Avant de voir comment estimer les incertitudes, faisons une petite mise au point sur les conventions d'écriture scientifique.
Dans une valeur numérique, le premier chiffre non-nul de gauche désigne le chiffre le plus significatif et le dernier chiffre de droite le chiffre le moins significatif. Les nombres 1230, 1,230 et 0,001230 ont ainsi tous quatre chiffres significatifs. Le nombre de chiffres significatifs rend compte de la précision du résultat et permet donc de se faire une idée de l’incertitude, même quand cette dernière n’est pas indiquée. Par exemple, écrire n'a aucun sens, puisque l'incertitude indique que nous n'avons pas d'information au delà de la deuxième décimale. Il faut donc arrondir le résultat au centième.
Comment arrondir ?
Pour les arrondis on adopte la méthode qui consiste à arrondir au plus près : cela consiste à repérer le dernier chiffre à arrondir (en fonction de la précision) puis à l'augmenter d'une unité si le chiffre suivant est au moins égal à 5 ou à le conserver sinon. Par exemple,
- arrondir 1,645 à l'unité donne 2 ;
- arrondir 1,645 au dixième donne 1,6 ;
- arrondir 1,645 au centième donne 1,65.
Si l'on reprend l'exemple précédent, on écrira plutôt Par ailleurs, l'incertitude étant elle-même entachée d'une incertitude assez importante, on ne garde qu'un seul chiffre significatif, éventuellement deux si l'on estime faire une erreur d'arrondi trop importante avec un seul chiffre. Par exemple
En résumé
Une fois l'incertitude estimée, on l'arrondi à un ou deux chiffres. On ajuste la valeur de la mesure de manière à ce que son dernier chiffre significatif soit à la même position que celui de l'incertitude en arrondissant au plus près. Le résultat se met sous la forme
Comment estimer une incertitude ?
Décrivons les différentes méthodes qui nous permettent d'évaluer les erreurs aléatoires. Notez que l'on suppose les erreurs systématiques négligeables et que ça n'est qu'à la fin, lorsque l'on confronte théorie et expérience, que l'on peut invoquer l'existence de biais pour expliquer un désaccord.
Les différents types d'estimations
Finalement, mesurer c'est accéder à une grandeur aléatoire. Cette variable aléatoire présente une distribution qui a souvent l'allure d'une gaussienne dont la figure ci-contre en donne une représentation.
Pour caractériser la dispersion des résultats autour de la moyenne on définit l'écart-type
où désigne la et la moyenne des écarts quadratiques. On montre qu'il existe une probabilité de 68% pour qu'une mesure soit compris dans l'intervalle On dit alors que l'intervalle représente un niveau de confiance de 68%. Le problème que l'on se pose est, comment, à partir de mesures, évaluer les valeurs et ? Pour cela, il existe deux types d'estimations :
- Type A
- On répète fois la même expérience puis on effectue une analyse statistique.
- Type B
- À partir d'une seule mesure on estime et à l'aide de différentes informations (notices techniques) et d'hypothèses probabilistes.
Estimation de type A
Supposons que l'on collecte mesures en répétant fois la même expérience. On cherche à accéder aux paramètres et à partir des mesures , , ..., . Si on pourrait reconstruire la loi de probabilité relative à la variable et par conséquent calculer . Hélas, est fini ; il faut donc chercher la meilleur façon d'estimer les paramètres et à partir d'un ensemble discret de mesures.
Nous distinguerons deux situations :
- le cas où l'échantillon de mesures est grand, disons ;
- le cas où l'échantillon est petit, c'est-à-dire .
Cas où — La théorie des probabilités permet de montrer que la meilleur estimation de est la moyenne arithmétique.
Estimation de
On montre également que la meilleure estimation de est l'écart-type non biaisé (noté sur les calculatrices)
Estimation de
Notez que dans cette formule, la somme des écarts quadratiques est divisé par et non par comme on pourrait s'y attendre. Une façon de retenir ce facteur est de réaliser que pour estimer un écart-type il faut au moins deux mesures ce qui implique .
Cas où — Si l'échantillon est petit (disons ) il y a une correction à apporter. On montre alors que la meilleure estimation de l'écart-type vaut où est le coefficient de Student donnée dans le tableau ci-dessous.
Nombres de mesures | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Coefficient | 1,84 | 1,32 | 1,20 | 1,14 | 1,11 | 1,09 | 1,08 | 1,07 | 1,06 |
Exemple
Dans l'expérience précédente, on peut estimer l'incertitude-type associé à la mesure de la durée . On trouve et puisque l'échantillon contient mesures, Ainsi, chaque mesure présente une incertitude-type de l'ordre de 0,16 s.
Incertitude sur la moyenne arithmétique — La moyenne arithmétique est la meilleure estimation de la valeur vraie, pour autant elle n'en est pas moins entachée d'une certaine erreur. En effet, si l'on répète une autre série de mesures on trouve une autre valeur de . Il faut donc chercher à calculer l'écart-type de la moyenne . Il est alors assez facile de montrer que En d'autres termes, par rapport à une mesure isolée, on réduit l'incertitude d'un facteur en procédant à . Finalement, le résultat se met sous la forme
Mesure de type A
Exemple
Dans l'expérience qui nous sert de fil rouge, on peut accéder à une valeur précise de en calculant sa moyenne arithmétique et son incertitude-type : Après avoir arrondi à un chiffre l'incertitude-type on peut finalement écrire le résultats de nos observations :
Estimation de type B
Lorsque l'on procède à une unique mesure on ne peut plus estimer l'incertitude-type de façon statistique. On procède alors de la manière suivante.
- On détermine la plage d'erreur dans laquelle il est raisonnable de penser que se trouve la valeur vraie. Cette plage d'erreur peut être fournie par la notice technique d'un appareil de mesure, ou déterminée de façon empirique en fonction des conditions de l'expérience. Il ne faut pas oublier qu'une estimation à un chiffre significatif suffit.
- On fait ensuite l'hypothèse que la probabilité de trouver la valeur vraie dans cet intervalle est uniforme. Il est alors facile de montrer grâce aux probabilités que
Exemples
- On souhaite déterminer par autocollimation la focale d’une lentille convergente. La plage de distance qui permet d’obtenir l’image nette de l’objet par le miroir est 9,8 cm — 11,2 cm. Comme valeur vraie, on prendra le centre de la plage : Pour calculer l’incertitude, on effectue
- On mesure une tension de 4,32 V avec un voltmètre sur le calibre 20 V, la résolution est de 10 mV. La notice technique indique une précision de ±(0,5% valeur lue + 1 digit). La plage d'erreur vaut donc et l’incertitude-type
Incertitude composée
La plupart du temps, l'erreur expérimentale présente de nombreuses composantes dont on peut estimer l'incertitude-type (notée ). Pour obtenir l'incertitude globale il faut alors composer les incertitudes-type. Si l'on suppose ces différentes composantes indépendantes, alors en vertu de la loi de composition des variances, on a :
On notera que puisque l'on arrondit l'incertitude à un chiffre significatif, il est possible de négliger si ce dernier est au moins trois fois plus petit que le terme le plus important.
Exemple
Reprenons notre expérience. On a estimé l'incertitude-type associée notamment au réflexe humain par la méthode de type A et on a trouvé . En revanche, le chronomètre présente une erreur de justesse qui n'est pas évaluée par la méthode de type A. Si l'on suppose une précision du chronomètre égale au 1/100ième s, on prendra On constate que l'erreur liée au manipulateur est prépondérante et qu'il est légitime de négliger l'erreur liée à l'instrument : .
Incertitude élargie
Pour finir, il est d'usage de donner les incertitudes avec un niveau de confiance de 95%. On notera cette incertitude dite élargie :
Incertitude élargie
Si rien n'est précisé, le résultat d'une mesure est a donner avec un niveau de confiance de 95%, ce qui correspond à un bon niveau de confiance.
On définit aussi l'incertitude relative par exprimé en %. Plus elle est petite, plus la mesure est précise.
Expérience
Finalement, la durée correspondant à 2,5 périodes d'oscillations du pendule simple peut s'écrire ce qui signifie que la période des oscillations vaut L'incertitude est donc de 4% en valeur relative.
Propagation des erreurs
Supposons que l'on mesure grandeurs différentes et que l'on calcule, à partir d'une loi physique ou d'une définition, une nouvelle grandeur . Connaissant les incertitudes associées aux mesures, il est alors légitime de se demander quelle est l'incertitude de suite à la propagation des erreurs dans le calcul de .
Cas d'une loi affine
Commençons par un cas simple, celui d'une relation affine à une seule variable :
Dans ce cas, il est facile de voir sur un graphique qu'une incertitude produit une incertitude de sorte que le calcul donne
Loi affine
Exercice
L'indice de réfraction de l'air à 20°C varie avec la pression selon la loi de Gladstone : et où est exprimé en bar. Que vaut l'indice de l'air à 20°C et à la pression bar ?
Cas d'une loi puissance
Supposons maintenant que la grandeur dépend d'une variable via une loi de puissance : et cherchons à estimer l'incertitude de liée à la propagation de l'incertitude de . Pour cela nous allons supposer que les incertitudes sont petites en valeur relative. Cela signifie qu'entre et , varie si peu qu'on peut approcher la courbe par un segment de coefficient directeur Si l'on applique le résultat du paragraphe précédent, on trouve donc . En divisant par on trouve la règle simple suivante.
Loi de puissance
Dans le cas d'une loi de puissance, l'incertitude relative est multipliée par la puissance :
Exemple
On cherche à déterminer le volume d'une bille d'acier de rayon . Sachant que le volume d'une sphère s'écrit on trouve On écrira donc
Méthode générale
ne dépend que d'une variable — En physique, il arrive souvent que le calcul d'une grandeur implique plusieurs variables. Cependant, il également assez courant qu'une des variables soit moins précise que les autres de sorte que l'on peut considérer les autres variables comme des paramètres constants. On peut alors considérer que Dans ce cas, et à condition de varie peu entre et , on écrira
dépend de variables — Considérons maintenant le cas général Si les grandeurs sont indépendantes, on utilise la formule :
Fonction à plusieurs variables
Exemple
Un dipôle électrique est soumis à la tension ce qui produit un courant d'intensité . Calculons la puissance électrique fournie à ce dipôle.
Tout d'abord, la valeur numérique de la puissance vaut Ensuite, calculons les dérivées par rapport à et : On en déduit l'incertitude sur le calcul de : On écrira donc :
Cas où les données sont fournies sans incertitudes
Il arrive fréquemment, notamment dans les sujets de concours, que l'on ait à faire un calcul à partir de données dont les incertitudes sont absentes. Dans ce cas c'est le nombre de chiffres significatifs qui indique la précision. On admet alors que le dernier chiffre significatif est connu à ±0,5. Par exemple, Donc, rigoureusement, pour savoir comment arrondir le résultat d'un calcul il faut faire une estimation de l'incertitude liée au calcul. Cependant, si l'on veut s'épargner ce calcul fastidieux, on peut appliquer la méthode simplifiée suivante.
Règles de calcul
- Cas d'une somme : c'est la donnée qui présente le moins de décimales qui impose son nombre de décimales au résultat.
- Cas d'un produit ou d'un quotient : la donnée qui présente le plus faible nombre de chiffres significatifs impose son nombre de chiffres significatif au résultat.
- Cas d'une fonction : le résultat est arrondi avec le même nombre de chiffres significatifs que .
Exemples
- . Le résultat doit être arrondi au dixième de centimètre. Attention à ne pas oublier d'écrire les grandeurs avec la même unité !
- . En effet, la somme 0,9 + 0,300 vaut 1,2 (arrondi au dixième) et possède deux chiffres significatifs. Le résultat doit présenter deux chiffres significatifs.
- , car est arrondi à l'unité près et ne présente donc qu'un seul chiffre significatif.
Pour en savoir plus...
- Incertitudes et analyse des erreurs dans les mesures physiquesParis, Dunod, 2000.
- Incertitudes expérimentales ENS, Université ParisParis, 2010.
- Neutrinos supraluminiques : chercher l'erreur[en ligne, consulté le 2015-06-06], 2012. Disponible sur lemonde.fr