Introduction
Les intégrales elliptiques complètes de première et seconde espèce sont respectivement définies par \[ K(k)=\int_0^{\pi/2}\frac{\mathrm{d}\varphi}{\sqrt{1-k^2\sin^2\varphi}} \quad\text{et}\quad E(k)=\int_0^{\pi/2}\sqrt{1-k^2\sin^2\varphi}\,\mathrm{d}\varphi \] avec \(k\in[0;1[\).
Elles ont été étudiées par Adrien-Marie Legendre en 1792 et interviennent dans de nombreux problèmes de physique comme l'étude du pendule simple, le champ magnétique créé par une spire, la mutuelle inductance entre deux spires, la perturbation des planètes, etc. Ces intégrales ne s’expriment pas en termes de fonctions simples. Bien sûr on peut utiliser une méthode numérique de calcul d’intégrale pour en donner une valeur approchée, mais la convergence n’est pas aussi rapide que celle de la méthode que l’on propose ici. En effet, ces deux intégrales sont étroitement liées à la ce qui permet en quelques lignes de code et quelques itérations de calculer \(K(k)\) et \(E(k)\) avec une grande précision.
Moyenne arithmético-géométrique
Considérons les suites réelles \((a_{n})\) et \((b_{n})\) définies par les relations \[ \left\{ \begin{array}{ccc} a_{n} &=&\frac{1}{2}\left(a_{n-1}+b_{n-1}\right) \\[3mm] b_{n} &=&\sqrt{a_{n-1}b_{n-1}} \\ \end{array} \right. \quad\text{avec}\quad \left\{ \begin{array}{ccc} a_{0} &=&a >0 \\[3mm] b_{0} &=&b <a \\ \end{array} \right. \] Ces suites, comme on le constate dans le vers une limite commune \(M_{a,b}\) dite moyenne arithmético-géométrique.
Moyennes | |||
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Itération | Arithmétique (\(a_{n}\)) | Géométrique (\(b_{n}\)) | \(|a_{n}-b_{n}|\) |
\(n=0\) | 1 | 0,5 | 0,5 |
\(n=1\) | 0,75 | 0,707106781.. | \(\sim 4.10^{-2}\) |
\(n=2\) | 0,72855339.. | 0,72823766.. | \(\sim 3.10^{-4}\) |
\(n=3\) | 0,728395524.. | 0,728395507.. | \(\sim 2.10^{-8}\) |
Intégrales elliptiques et AGM
Intégrale de première espèce
Considérons l'intégrale suivante : \[ I(a,b)=\int_{0}^{\pi/2}\frac{\mathrm{d} \varphi}{\sqrt{a^{2}\cos^{2}\varphi+b^{2}\sin^{2}\varphi}} \] Cette intégrale présente la propriété remarquable d'être invariante par la transformation \(a\mapsto (a+b)/2\) et \(b\mapsto \sqrt{ab}\).
Commençons par effectuer le changement de variable \(t=b\tan\varphi\). On a \[ \mathrm{d}t=b(1+\tan^2\varphi)\,\mathrm{d}\varphi=b\frac{1}{\cos\varphi}\sqrt{1+\tan^2\varphi}\,\mathrm{d}\varphi \] et \[ \sqrt{a^{2}\cos^{2}\varphi+b^{2}\sin^{2}\varphi}=\cos\varphi\sqrt{a^2+b^2\tan^2\varphi} \] Ainsi, \(I(a,b)\) s'écrit également \[ I(a,b)=\int_0^\infty\frac{\cos\varphi \, \mathrm{d}t}{\sqrt{b^2+t^2}\cos\varphi \sqrt{a^2+t^2}} =\int_0^\infty\frac{\mathrm{d}t}{\sqrt{(a^2+t^2)(b^2+t^2)}} \] Montrons maintenant que \(I(a,b)=I(\frac{a+b}{2},\sqrt{ab})\). Pour cela effectuons un nouveau \(u=\frac12 (t-\frac{ab}{t})\). Multiplions à gauche et à droite par \(t\) puis différentions : \[ \frac12 t^2-\frac{ab}{2}=ut \quad\rightarrow\quad t \mathrm{d}t=t\mathrm{d}u +u \mathrm{d}t \quad\text{soit}\quad \mathrm{d}u=\left(1-\frac{u}{t}\right)\mathrm{d}t \] Par ailleurs, le dénominateur de l'intégrande s'écrit \[ \sqrt{(a^2+t^2)(b^2+t^2)}= \sqrt{t^2(a^2/t^2+1)(b^2+t^2)}= t\sqrt{a^2+b^2+t^2+\frac{a^2b^2}{t^2}} \] Elevons au carré la relation de changement de variable : \(t^2+\frac{a^2b^2}{t^2}=4u^2+2ab\) ; puis réinjectons dans l'expression précédente : \[ t\sqrt{a^2+b^2+t^2+\frac{a^2b^2}{t^2}}=t\sqrt{(a+b)^2+4u^2} \] Donc, après changement de variable, \(I(a,b)\) devient \[ I(a,b)=\frac{1}{2}\int_{-\infty}^\infty\frac{\mathrm{d}u}{(t-u)\sqrt{u^2+(\frac{a+b}{2})^2}} \] Pour terminer, puisque \(t\) vérifie l'équation du second degré \[ t^2-2ut-ab=0 \quad\rightarrow\quad t-u=\pm\sqrt{u^2+ab} \] Finalement, on obtient \[ I(a,b)=\frac{1}{2}\int_{-\infty}^\infty \frac{\mathrm{d}u}{\sqrt{\left(u^2+(\frac{a+b}{2})^2\right)\left(u^2+ab\right)}} =\int_{0}^\infty \frac{\mathrm{d}u}{\sqrt{\left(u^2+(\frac{a+b}{2})^2\right)\left(u^2+ab\right)}} \] CQFD
Par conséquent, si l'on appelle \((a_n)\) et \((b_n)\) les termes de la suite arithmético-géométrique générés par les termes initiaux \(a\) et \(b\), l'intégrale \(I(a,b)\) vérifie la propriété suivante \[ I(a,b)=I(a_{1},b_{1})=\ldots=I(a_{n},b_{n})=\ldots=I(M_{a,b},M_{a,b}) \] cette dernière intégrale se calculant sans difficulté : \[ I(a,b)= I(M_{a,b},M_{a,b})=\int_{0}^{\pi/2}\frac{\mathrm{d} \varphi}{M_{a,b}}=\frac{\pi}{2M_{a,b}} \] Il nous reste plus qu'à relier l'intégrale elliptique de première espèce à \(I(a,b)\). Il est facile de vérifier que \[ K(k)=I(1,\sqrt{1-k^{2}}) \quad\text{car}\quad \cos^{2}\varphi+(1-k^{2})\sin^{2}\varphi=1-k^{2}\sin^{2}\varphi \] Retenons le résultat suivant
Relation entre \(K(k)\) et AGM
\begin{equation} \displaystyle K(k)=\dfrac{\pi}{2M_{1,\sqrt{1-k^2}}} \notag \end{equation}où \(M_{1,\sqrt{1-k^2}}\) est la limite de la suite arithmético-géométrique avec \(a=1\) et \(b=\sqrt{1-k^2}\).
Intégrale de seconde espèce
En plus de \(I(a,b)\), considérons deux nouvelles intégrales : \[ J(a,b)=\int_0^{\frac{\pi}{2}}\sqrt{a^2\cos^2\varphi+b^2\sin^2\varphi}\, \mathrm{d}\varphi \quad\text{et}\quad L(a,b)=\int_0^{\frac{\pi}{2}}\frac{\cos^2\varphi\, \mathrm{d}\varphi}{\sqrt{a^2\cos^2\varphi+b^2\sin^2\varphi}} \] À l'aide des deux changements de variable rencontrés dans la section précédente, on peut montrer [5] la propriété suivante : \begin{equation} {c_0}^2 L(b,a)=S I(a,b) \quad\text{avec}\quad \left\lbrace \begin{array}{rcl} {c_n}^2 &=&{a_n}^2-{b_n}^2\\ S &=&\sum_{n=0}^{\infty}2^{n-1}{c_n}^2\\ \end{array} \right. \end{equation} où \(a_n\) et \(b_n\) sont les termes de la suite arithmético-géométrique initiée par \(a\) et \(b\). Explicitons le premier terme \({c_0}^2L(b,a)\) : \[ {c_0}^2=a^2-b^2 \quad\text{et}\quad L(b,a)=\int_0^{\pi/2}\frac{\cos^2\varphi\, \mathrm{d}\varphi}{\sqrt{b^2\cos^2\varphi+a^2\sin^2\varphi}} \] Le changement de variable \(\phi=\frac{\pi}{2}-\varphi\) transforme \(L(b,a)\) comme suit : \[ L(b,a)=\int_0^{\pi/2}\frac{\sin^2\phi\, \mathrm{d}\phi}{\sqrt{a^2\cos^2\phi+b^2\sin^2\phi}} \] de sorte que \({c_0}^2L(b,a)\) vaut \begin{equation} \begin{split} {c_0}^2L(b,a)=\int_0^{\frac{\pi}{2}}\frac{a^2\sin^2\phi-b^2\sin^2\phi}{\sqrt{a^2\cos^2\phi+b^2\sin^2\phi}}\, \mathrm{d}\phi= \int_0^{\frac{\pi}{2}}\frac{a^2\, \mathrm{d}\phi}{\sqrt{a^2\cos^2\phi+b^2\sin^2\phi}}\\ -\int_0^{\frac{\pi}{2}}\sqrt{a^2\cos^2\phi+b^2\sin^2\phi}\,\mathrm{d}\phi=a^2 I(a,b)-J(a,b) \end{split} \notag \end{equation}
En reprenant la relation (1), on aboutit à \begin{equation} \boxed{\hspace{0.5em} J(a,b)=(a^2-S)I(a,b) \hspace{0.5em}} \notag \end{equation}
Il suffit maintenant de choisir \(a=1\) et \(b=\sqrt{1-k^2}\) pour obtenir la relation entre les intégrales elliptiques complètes de première et seconde espèce :
Relation entre \(E(k)\) et la suite AGM
\[ E(k)=(1-S)K(k)=\frac{\pi(1-S)}{2M_{1,\sqrt{1-k^2}}} \] avec \(S=\displaystyle \sum_{n=0}^{\infty}2^{n-1}{c_n}^2\) et \({c_n}^2={a_n}^2-{b_n}^2\).
Méthode numérique
Comme on l'a vu, les suites \((a_n)\) et \((b_n)\) convergent vers la moyenne \(M_{a,b}\) à une vitesse prodigieuse. Quant à la suite \(({c_n}^2)\), elle converge vers 0 tout aussi rapidement (Tab. 2).
Moyennes | |||||
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Itération | Arithmétique (\(a_{n}\)) | Géométrique (\(b_{n}\)) | \(|a_{n}-b_{n}|\) | \({c_n}^2\) | \(2^{n-1}{c_n}^2\) |
\(n=0\) | 1 | 0,5 | 0,5 | 0,75 | 0.375 |
\(n=1\) | 0,75 | 0,707106781.. | \(\sim 4.10^{-2}\) | \(\sim 4.10^{-2}\) | \(\sim 6.10^{-2}\) |
\(n=2\) | 0,72855339.. | 0,72823766.. | \(\sim 3.10^{-4}\) | \(\sim 5.10^{-4}\) | \(\sim 9.10^{-4}\) |
\(n=3\) | 0,728395524.. | 0,728395507.. | \(\sim 2.10^{-8}\) | \(\sim 2.10^{-8}\) | \(\sim 10^{-7}\) |
On peut donc obtenir la moyenne \(M_{a,b}\) et \(S\) avec une grande précision grâce à quelques itérations de la suite arithémitco-géométrique.
Voici un premier algorithme qui calcule \(K(k)\) avec un certain seuil de précision, noté \(\epsilon_0\):
Algorithme pour calculer \(K(k,\epsilon_0)\)
- \(a\leftarrow 1\)
- \(b\leftarrow \sqrt{1-k^2}\)
- \(e\leftarrow |a-b|\)
- Tant que (\(e>\epsilon_0\)) faire :
- \(c\leftarrow (a+b)/2\)
- \(b\leftarrow \sqrt{a\times b}\)
- \(a\leftarrow c\)
- \(e\leftarrow |a-b|\)
- Retourner \(\pi/(2a)\)
Pour le calcul de \(E(k)\), on doit, au fur et à mesure des itérations, calculer \(S\). C'est sur cette somme qu'un critère de précision sera appliqué. D'autre part, si \(k=1\), il n'est pas nécessaire d'utiliser la suite arithmético-géométrique car l'on connaît la
Algorithme pour calculer \(E(k,\epsilon_0)\)
- \(a\leftarrow 1\)
- \(b\leftarrow \sqrt{1-k^2}\)
- \(c\leftarrow k^2\)
- \(S\leftarrow c/2\)
- \(e\leftarrow S\)
- Si (\(k=1\)) : Retourner 1
- Sinon :
- \(n=1\)
- Tant que (\(e>\epsilon_0\)) faire :
- \(A\leftarrow (a+b)/2\)
- \(B\leftarrow \sqrt{a\times b}\)
- \(c\leftarrow A^2-B^2\)
- \(a\leftarrow A\)
- \(b\leftarrow B\)
- \(e\leftarrow 2^{n-1}c\)
- \(S=S+e\)
- \(n=n+1\)
- Retourner \((1-S)\times \pi/(2a)\)
Pour en savoir plus...
- Période du pendule simple[en ligne], 2016. Disponible sur femto-physique.fr
- Champ magnétique créé par une spire[en ligne], 2016. Disponible sur femto-physique.fr
- Calculateur d'auto-inductance d'un solénoïde[en ligne], 2022. Disponible sur femto-physique.fr
- Advance of perihelion Am. J. Phys. vol. 81, №9, p.695-702, 2013.
- L’algorithme de Gauss-Salamin[en ligne], 1996. Disponible sur folium.eu.org