Cours de Mécanique des fluides

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De nombreuses expériences de la vie quotidienne ne peuvent pas trouver d'explication avec les lois vues jusqu'ici. C'est en tenant compte des propriétés des interfaces qu'on peut les justifier notamment grâce au concept de tension superficielle. La capillarité est la science qui s'intéresse à ces phénomènes et qui joue un rôle majeur dans de nombreux domaines scientifiques (climat, chimie de formulation, industrie du verre etc.).

On propose ici une présentation classique de la capillarité ; pour les aspects dynamiques et une vision plus moderne de cette science voir[1].

Énergie de surface

Origine microscopique

Jusqu'ici nous avons considéré le fluide comme un milieu continu contraint par des conditions aux limites que l'on a traité de façon . En réalité, pour décrire correctement la physique aux interfaces il faut tenir compte des interactions moléculaires à courte portée qui s'exercent de part et d'autre de l'interface. La théorie classique de la capillarité consiste à modéliser une interface comme une surface mathématique auquel on associe une certaine élasticité représentée par la propriété physique que nous appellerons tension superficielle.

Essayons de justifier cette notion par un modèle simple. Considérons un liquide \(\mathcal{F}_1\) en contact avec sa vapeur \(\mathcal{F}_2\). Au sein de chaque fluide les molécules subissent des interactions de très courte portée (interactions de van der Waals attractives). Ainsi, dans \(\mathcal{F}_1\), chaque molécule possède une énergie d'interaction \(\epsilon_1 < 0\) résultat de l'interaction attractive avec son voisinage immédiat. De même on définira une énergie d'interaction \(\epsilon_2\) au sein du fluide \(\mathcal{F}_2\). Par contre, il existe une couche de fluide dans laquelle les molécules sont soumises à l'action des deux fluides. L'épaisseur de ce film moléculaire est de l'ordre de la dimension \(a\) d'une molécule. Appelons alors \(\epsilon_{12}\) l'énergie d'interaction d'une molécule interfaciale. Bien entendu, on a \(|\epsilon_{12}|\) compris entre \(|\epsilon_1|\) et \(|\epsilon_2|\).

Interactions au sein d'un fluide.
Interactions au sein d'un fluide.

Si \(N\) est le nombre de molécules et \(N_{s}\) le nombre de molécules à l'interface, l'énergie du liquide \(\mathcal{F}_{1}\) vaut \[ \mathcal{E}_{1} = (N-N_{s})\epsilon_{1}+N_{s}\epsilon_{12} = N\epsilon_{1}+\mathcal{E}_{s} \] où \(E_{s}=N_{s}(\epsilon_{12}-\epsilon_{1})\) représente l'énergie de l'interface. On voit donc que l'on peut associer à l'interface une énergie liée à l'anisotropie des forces d'interaction moléculaire. Le terme d'anisotropie \(\epsilon_{12}-\epsilon_{1}\) est positif. Enfin, le nombre de molécules à l'interface est proportionnel à l'aire \(S\) de l'interface. On a approximativement \(N_s\simeq S/a^2\) de sorte que l'on peut écrire \begin{equation} \fcolorbox{#FFFFFF}{#FFF8F0}{\quad \(\displaystyle \mathcal{E}_{s} = \gamma S \quad\text{avec}\quad \gamma\simeq \frac{\epsilon_{12}-\epsilon_{1}}{a^2} > 0 \)\quad} \;\color{#FF9900}{\heartsuit} \end{equation} où \(\gamma\) est par définition la tension superficielle. Ainsi, la tension superficielle est une grandeur positive qui caractérise une interface et représente l'énergie interfaciale par unité de surface. Elle s'exprime en \(\mathrm{J.m^{-2}}\) et dépend notamment des interactions moléculaires.

Conséquences expérimentales

Augmenter l'aire d'une interface de \(\mathrm{d}S\), présente donc un coût énergétique qui s'élève à \begin{equation} \fcolorbox{#FFFFFF}{#FFF8F0}{\quad \(\displaystyle \mathrm{d}\mathcal{E}=\gamma \mathrm{d}S \)\quad} \;\color{#FF9900}{\heartsuit} \end{equation}

Forme des bulles et gouttes — Ainsi un liquide adoptera une forme qui minimise la surface compte tenu des contraintes. On montre que pour un volume donné la surface qui minimise l'énergie est une sphère. Par exemple une goutte d'huile dans un mélange eau-alcool de densité identique sera sphérique. De la même manière, les bulles de gaz carbonique dans le champagne sont sphériques.

Coalescence — On montre aussi que deux gouttes sphériques auront intérêt à former une goutte plus grosse. Ainsi quand on agite énergiquement un mélange eau-huile on obtient une émulsion de petites gouttes d'huile dans l'eau. Cette émulsion est instable : les petites gouttes coalescent et l'on obtient après un certain temps de l'huile avec de l'eau au dessous.

Coalescence de deux gouttes (© CNRS)
Coalescence de deux gouttes
(© CNRS).

Exercice

Considérons deux gouttes d'eau sphériques de rayon \(r\) qui coalescent pour ne former qu'une seule goutte de rayon \(r'\). Montrer que cette transformation s'accompagne d'un gain d'énergie.

Retard des changements d'état — Lorsque l'on détend un liquide de façon isotherme, la thermodynamique prévoit qu'en dessous d'une pression dite pression de vapeur saturante}, le liquide change de phase pour se vaporiser. Cependant la formation de la première bulle de vapeur coute de l'énergie de sorte que le liquide peut exister dans une phase métastable en dessous de la pression de vapeur saturante. On parle de retard à la vaporisation. Une simple perturbation locale peut suffire à déclencher la formation d'une première bulle de vapeur. C'est ce phénomène qui fut employé dans les détecteurs de particules du milieu du 20e siècle (chambres à bulles). De manière analogue, il y a pour la vapeur sursaturante.

Production de particules dans la première chambre à bulles à hydrogène liquide du CERN
Production de particules dans la première chambre à bulles à hydrogène liquide du CERN.

Rôle des tensio-actifs

Les tensioactifs sont constituées de molécules amphiphiles c'est-à-dire munies d'un pôle hydrophile et d’une longue chaîne hydrophobe. Lorsqu’un tensioactif est ajouté à de l’eau il vient se placer immédiatement à la surface, avec la queue hydrophobe pointant à l’extérieur de la surface. Ce processus s'accompagne d'une diminution de l'énergie de surface et donc d'une chute de la tension superficielle. Ce n’est qu’une fois la surface saturée, et n’offrant plus d’espace disponible à de nouvelles molécules amphiphiles, que les tensioactifs vont former des structures organisées au sein du liquide : ce sont les micelles. Les micelles sont des structures sphériques ou ellipsoïdales dont la surface est constituée des têtes hydrophiles des tensioactifs, alors que les queues hydrophobes de ces derniers sont regroupées à l’intérieur. L’effet nettoyant des tensioactifs découle du fait que les substances hydrophobes, telles que les matières grasses, peuvent être contenues à l’intérieur des micelles. La concentration de tensioactifs au-dessus de laquelle les micelles commencent à se former est connue comme la concentration micellaire critique (CMC). Elle s'obtient en déterminant la concentration à partir de laquelle la tension superficielle cesse de chuter.

Forces capillaires

Mise en évidence

Expérience

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Plongeons un contour métallique dans de l'eau savonneuse puis retirons le. Il se forme alors une membrane liquide plane qui s'appuie sur le contour. Auparavant, nous avons pris soin de fixer un fil souple formant une boucle qui adopte une forme quelconque. Lorsque l'on crève au moyen d'une aiguille la membrane située dans la boucle, celle-ci adopte aussitôt une géométrie circulaire (Fig.4). Cette expérience montre que la boucle est soumise à des forces dites forces capillaires aux propriétés suivantes :

  • Ces forces sont perpendiculaires en chaque point du contour et tendent à minimiser l'aire du film d'eau savonneuse.
  • Ces forces sont tangentes à l'interface.
  • Elles sont réparties de façon uniforme. On peut donc définir une densité linéique de force \(\text{d}F/\text{d}\ell\).
Mise en évidence des forces capillaires.
Mise en évidence des forces capillaires.

De la même façon, si l'on forme une lame d'eau savonneuse sur un cadre rectangulaire dont un des côtés est mobile, le liquide cherchant à minimiser sa surface, il faut exercer une force sur la tige mobile pour maintenir la surface constante. On peut obtenir l'expression de cette force à l'aide d'un raisonnement énergétique : supposons qu'un opérateur déplace de façon quasi-statique la tige de longueur \(\ell\) en produisant une force \(\overrightarrow{F_\text{op}}\). Si l'on note \(\text{d}x\) le déplacement, le théorème de l'énergie cinétique appliqué à la tige T donne \[ \text{d} \mathcal{E}_c = 0 = \sum\text{travaux}=F_{\text{op}}\,\text{d}x+\delta W_\mathrm{liq\to T} \]

La tension superficielle peut s'interpréter comme une densité linéique de forces.
La tension superficielle peut s'interpréter comme une densité linéique de forces.

où \(\delta W_\mathrm{liq\to T}\) est le travail des forces capillaires sur la tige. Or, lors du déplacement de la tige la membrane reçoit une énergie \[ \mathrm{d}\mathcal{E}=\mathbf{2}\,\gamma\times (\ell \mathrm{d}x) = W_\mathrm{T\to liq}=-W_\mathrm{liq\to T} \]

Lorsque que l'on traite une membrane d'eau savonneuse, il ne faut pas oublier qu'il y a deux interfaces liquide-gaz ce qui explique la présence du facteur deux.

En réinjectant \(W_\mathrm{liq\to T}\) dans le théorème de l'énergie, on trouve \(f_{\text{op}}=2\gamma \ell\). Et comme \(F_{\text{op}}=F\) (évolution quasi-statique), on obtient \[ F=2\gamma \ell \qquad\text{(2 interfaces)} \] De façon général, on peut traiter une interface comme une membrane tendue: chaque portion de surface est le siège de forces capillaires réparties sur le contour \(\mathcal{C}\) délimitant la portion de surface. Ces forces sont tangentes à l'interface, perpendiculaires en tout point de \(\mathcal{C}\) et données par la relation \begin{equation} \fcolorbox{#FFFFFF}{#FFF8F0}{\quad \(\displaystyle \overrightarrow{\text{d}F}=\gamma \text{d}\ell\,\overrightarrow{n} \quad\text{avec}\quad \overrightarrow{n}\perp\mathcal{C} \)\quad} \;\color{#FF9900}{\heartsuit} \end{equation} Finalement, la tension superficielle est une force par unité de longueur, c'est pourquoi on l'exprime couramment en N.m-1.

Application à la mesure de tension de surface

Mesure relative par stalagmométrie — La mesure consiste à compter les gouttes sortant d'un compte-gouttes. Chaque goutte se détache au niveau du col de rayon \(r\) lorsque le poids du volume de la goutte dépasse les forces capillaires. Si l'on note \(m\) la masse de la goutte au moment où elle se détache, on a \[ mg=2\pi r \gamma \] En général on connaît le volume \(V\) du compte-goutte et l'on compte le nombre \(n\) de gouttes. La relation précédente devient \[ \frac{\rho V}{n}g=2\pi r \gamma \] où \(\rho\) est la masse volumique du liquide. Si l'on suppose que \(r\) ne dépend pas du liquide utilisé, mais seulement du diamètre du compte-goute, alors on peut appliquer le même raisonnement pour un liquide de référence (eau à 20°C en général) : \[ \frac{\rho_\text{ref} V_\text{ref}}{n_\text{ref}}g = 2\pi r \gamma\quad \text{(étalonnage)} \]

Stalagmométrie.
Stalagmométrie.

Le rapport des deux relations précédentes mène à la relation \[ \gamma = \gamma_\text{ref}\frac{\rho/n}{\rho_\text{ref}/n_\text{ref}} \] La connaissance de la masse volumique et du nombre de gouttes permet donc de comparer la tension de surface avec celle d'un liquide de référence.

Mesure absolue par la méthode d'arrachement — Historiquement la méthode de l’anneau a été la première à être développée. Il s'agit de plonger un anneau (en platine en général) dans le liquide à étudier puis de le remonter délicatement de façon à étirer un film au-dessous de l’anneau.

Méthode de l'anneau.
Méthode de l'anneau.

Au cours de l’étirement du film de liquide, la force exercée sur l'anneau est mesurée à l'aide d'un dynamomètre et le système passe par un seuil où la force est maximale : dans ce cas les forces capillaires sont verticales. Si l'on note \(r_1\) le rayon intérieur de l'anneau et \(r_2\) son rayon extérieur, on a la relation. \[ F_{\text{max}}=2\pi(r_{1}+r_{2})\gamma\simeq 4\pi r\gamma \quad \text{avec}\quad r_{1}\simeq r_{2}=r \] Sa mesure permet donc de déterminer la tension superficielle du liquide.

Ordre de grandeur — À température ordinaire, pour les liquides moléculaire, la tension superficielle vaut quelques dizaines de mN.m-1. Les liquides métalliques ont des tensions superficielles un ordre de grandeur au dessus.

Tension superficielle de quelques interfaces liquide-air.
LiquideTempératureTension superficielle (mN/m)
Benzène20°C29
Eau20°C73
Eau80°C62
Glycérine20°C63
Hexadécane20°C27
Huile d'olive20°C32
Mercure18°C475
Plomb327°C462

La tension superficielle varie avec la température. Pour les corps purs, \(\gamma\) diminue linéairement avec la température jusqu'à s'annuler à la température critique \[ \gamma=\gamma_0\left(1-\frac{T}{T_\text{c}}\right) \quad\text{(formule d'Eötvös)} \]

Théorème de Laplace

Un petit contour pris dans la surface libre plane d'un liquide en équilibre est soumis à des forces de tension superficielle situées dans son plan et dont la résultante est nulle. Par contre, pour une surface sphérique, les forces exercées sur ce même contour ont une résultante orientée vers l'intérieur de la sphère ; il faut donc une surpression \(\Delta p\) pour que l'équilibre existe. On voit immédiatement que plus la courbure est importante et plus \(\Delta p\) sera grand.

La résultante des forces capillaires qu'exerce la membrane sur un contour fermé est nulle si la membrane est plane.
La résultante des forces capillaires qu'exerce la membrane sur un contour fermé est nulle si la membrane est plane.
À gauche: existence d'une surpression dans une goutte. La courbure entraîne l'existence d'une résultante des forces capillaires dirigée vers le centre de courbure. À droite: forces agissantes sur une portion hémisphérique d'une goutte liquide. Les flèches réparties sur le contour circulaire représentent les forces capillaires.
À gauche: existence d'une surpression dans une goutte. La courbure entraîne l'existence d'une résultante des forces capillaires dirigée vers le centre de courbure. À droite: forces agissantes sur une portion hémisphérique d'une goutte liquide. Les flèches réparties sur le contour circulaire représentent les forces capillaires.

Calculons la surpression \(\Delta p\) qui règne à l'intérieur d'une goutte sphérique de rayon \(R\) en faisant un bilan des forces sur une demi-goutte :

L'équilibre du système se traduit par \[ \left(p^\text{int}-p^\text{ext}\right)\pi R^2-2\pi R\gamma=0 \] ce qui donne une surpression \begin{equation} \fcolorbox{#FFFFFF}{#FFF8F0}{\quad \(\displaystyle \Delta p=p^\text{int}-p^\text{ext}=\frac{2\gamma}{R} \)\quad} \;\color{#FF9900}{\heartsuit} \end{equation}

De la même manière, à l'intérieur d'une bulle de savon, il règne une surpression \[ \Delta p = p^{\text{int}}-p^{\text{ext}}=\frac{\mathbf{4}\gamma}{R} \] où le facteur 4 est dû au fait que la bulle de savon présente deux interfaces liquide-gaz.

Ordre de grandeur — Pour une bulle de savon de rayon \(R\simeq 1\,\mathrm{cm}\) et \(\gamma\simeq 25.10^{-3}\mathrm{N.m^{-1}}\) on obtient \(\Delta p\simeq 10\,\mathrm{Pa}\). Pour faire des grosses bulles il faut fournir beaucoup d'énergie (surface importante) et générer une faible surpression ; il faut donc souffler tout doucement et longtemps.

Mûrissement d'une mousse — Dans une mousse humide (mousse à raser, mousse de bière, etc.), du gaz est enfermé dans des bulles sphériques séparées par un film liquide pouvant plus ou moins laisser diffuser le gaz selon l'épaisseur de la membrane et la taille des molécules gazeuses. Le gaz emprisonné est en surpression par rapport au liquide en vertu de la loi(4). Par ailleurs la surpression est plus importante dans les petites bulles. C'est ce qui explique le phénomène de mûrissement d'une mousse : Le gaz contenu dans les petites bulles traversent la membrane liquide par diffusion pour se diriger dans les zones de moins grande pression, c'est-à-dire, dans les grosses bulles. Les petites bulles se vident donc dans les grosses et la mousse s'enrichit en grosses bulles.

La généralisation à une géométrie quelconque est donnée par la loi de Laplace-Young :

Loi de Laplace-Young

La différence de pression à la traversée d'une interface séparant un fluide intérieur et un fluide extérieur est donnée par \[ p^\text{int}-p^\text{ext} = \gamma\left(\frac{1}{R_{1}}+\frac{1}{R_{2}}\right) \] où \( R_{1} \) et \( R_{2} \) sont les rayons de courbure de l'interface selon deux directions orthogonales. Par convention, ces rayons sont positifs quand le centre de courbure est dans le fluide intérieur. Dans le cas d'une interface sphérique, ces deux rayons de courbure s'identifient au rayon de la sphère.

Surface minimale — Lorsque l'on trempe une structure métallique dans une eau de savon, on obtient une surface minimale (l'interface va chercher a minimiser l'énergie superficielle) qui a la propriété suivante : si la surface est ouverte, \(\Delta p=0\) et donc \[ \frac{1}{R_{1}}+\frac{1}{R_{2}}=0 \] On dit que la courbure moyenne est nulle. Dans la plupart des cas on obtient des lames planes qui forment une surface minimale (\(R_{1},R_{2}\rightarrow\infty\)). On peut aussi obtenir des lames avec deux rayons de courbures opposées comme sur la(Fig.10) montrant une caténoïde.

Lame de savon formant une caténoide
Lame de savon formant une caténoïde
(© Berkeley Science Review).

Mouillage

Angles de contact

Équilibre au contact de trois fluides — Déposons une petite quantité de liquide 2 sur un autre liquide 1 plus dense et non miscible. L'ensemble des points en contact avec les deux liquides et l'air forme un contour appelé ligne triple. Intéressons nous aux forces capillaires s'exerçant sur cette ligne triple. Notons \(\overrightarrow{\gamma_{ij}}\) la force capillaire par unité de longueur due à l'interface entre les fluides \(i\) et \(j\). L'équilibre n'est possible que si la résultante des forces capillaires peut s'annuler ce qui définit l'angle de contact \(\theta\) : \[ \overrightarrow{\gamma}_{12}+\overrightarrow{\gamma}_{23}+\overrightarrow{\gamma}_{31} = \overrightarrow{0} \]

Définition de l'angle de contact.
Définition de l'angle de contact.

Cet équilibre suppose que l'on puisse former un triangle avec les trois vecteurs \(\overrightarrow{\gamma}_{ij}\) ce qui n'est possible qu'à condition que chaque tension de surface soit inférieure à la somme des deux autres. Dans le cas contraire, le liquide 2 s'étale sur le liquide 1 : on dit qu'il y a mouillage total.

Exercice

Déposons une goutte d'huile d'olive sur de l'eau. Sachant que \(\gamma_{\text{eau-air}}=73\,\mathrm{mN.m^{-1}}\), \(\gamma_{\text{huile-air}}=32\,\mathrm{mN.m^{-1}}\) et \(\gamma_{\text{huile-eau}}=18\,\mathrm{mN.m^{-1}}\), dire s'il y a étalement ou non.

l'huile d'olive s'étale.

Équilibre d'un liquide au contact d'un solide — Déposons une goutte de liquide sur un support plan. En général, le liquide adopte la forme décrite sur la(Fig.12), résultat d'un compromis entre le poids qui tend à diminuer la position du centre de gravité de la goutte et des forces capillaires qui tendent à minimiser l'aire de la surface libre. À l'équilibre, la résultante des forces capillaires en un point de la ligne triple s'annule. En projection sur le plan de la surface solide, on a donc \[ \gamma_{SL}+\gamma_{LG}\cos\theta=\gamma_{SG} \] Cette relation trouvée par Young en 1805 définit l'angle de contact \(\theta\).

Différents équilibres d'un liquide au contact d'un substrat solide.
Différents équilibres d'un liquide au contact d'un substrat solide.

On distingue trois cas de figure :

Ascension capillaire

Quand on plonge un de rayon \(r\) dans de l'eau, on observe l'ascension d'une colonne d'eau dans le capillaire malgré la pesanteur. Cette ascension est d'autant plus importante que le rayon est petit. \[ h= \frac{\mathrm{C^{te}}}{r}\qquad\text{(loi de Jurin)} \] où la constante dépend du liquide et de l'angle de contact.

expérience de l'asension capillaire Expérience et schéma.
Expérience et schéma.

On peut utiliser la loi de Laplace-Young pour démontrer la loi de Jurin. En effet, considérons l'interface liquide raccordée à la paroi du tube avec un angle \(\theta\) et supposons que le ménisque est de rayon \(R\). L'air étant à la pression \(p_0\), la pression qui règne dans le liquide au voisinage du ménisque vaut \(p_0-\Delta p\) avec \(\Delta p=2\gamma/R\) en vertu de la loi de Laplace-Young. Le rayon de courbure vaut \(R=r/\cos\theta\) d'où \[ p_h=p_0-\frac{2\gamma \cos\theta}{r} \] Or, si l'on applique les lois de l'hydrostatique au niveau de la surface libre du récipient dans lequel plonge le tube, on trouve \[ p_0 = p_h+\rho g h \quad \Rightarrow\quad h=\frac{2\gamma\cos\theta}{\rho g}\frac{1}{r} \] Il y a donc ascension capillaire si le liquide mouille la paroi (\(\theta <\pi/2\)). Par contre pour un liquide non mouillant il y a descente capillaire (cas du mercure dans un capillaire en verre).

Exercice

On plonge côte à côte deux tubes capillaires de diamètres intérieurs \(d_1=0{,}20\,\mathrm{mm}\) et \(d_2=0{,}40\,\mathrm{mm}\) dans de l'huile d'olive. On mesure une différence de hauteur d'ascension de 31 mm. En déduire la tension superficielle de l'huile d'olive en supposant que l'huile mouille parfaitement les parois du tube capillaire. On donne \(\rho_\text{huile}=918\,\mathrm{g.L^{-1}}\)

\(\gamma_\text{huile}=28\,\mathrm{mN.m^{-1}}\).

Approche thermodynamique

Dans toute la suite on note \(A\) l'aire de l'interface au lieu de \(S\), notation que l'on réserve à l'entropie.

Identité thermodynamique

Soit un système liquide que l'on décrit par son volume \(V\), son aire \(A\) sa température \(T\) et sa pression \(p\). Appelons également \(U\) son énergie interne, et \(S\) son entropie. Imaginons une transformation infinitésimale réversible pendant laquelle le système reçoit un transfert thermique \(\delta Q^\text{rev}\) et un travail \(\delta W^\text{rev}=-p\, \mathrm{d}V+\gamma \mathrm{d}A\) où \(\gamma\) est la tension superficielle.

En vertu du second principe, on a \(\delta Q^\text{rev}=T \mathrm{d}S\), et le premier principe donne l'identité thermodynamique \[ \mathrm{d}U=\delta Q^\text{rev}+\delta W^\text{rev} \quad\text{soit}\quad \mathrm{d}U=T \mathrm{d}S-p \mathrm{d}V+\gamma \mathrm{d}A \] Introduisons maintenant l'énergie libre, une grandeur notée \(F\) (comme free energy) et définie par \[ F\stackrel{\text{def}}=U-TS \] Sa différentielle s'écrit \[ \mathrm{d}F=\mathrm{d}U-T \mathrm{d}S-S \mathrm{d}T=-S \mathrm{d}T-p \mathrm{d}V+\gamma \mathrm{d}A \] identité qui montre que l'énergie libre est une fonction de \(T\), \(V\) et \(A\).

Si maintenant on fixe la température et l'on suppose le liquide incompressible (\(V\) est donc constant), on obtient \(\mathrm{d}F=\gamma \mathrm{d}A\).

À retenir

Le terme \(\gamma \mathrm{d}A\) représente la variation d'énergie libre du liquide quand on augmente son aire à température constante.

Exemple de calcul thermodynamique : la loi de Laplace

Essayons de retrouver la formule de Laplace relative à une bulle de savon à l'aide d'une analyse thermodynamique.

Considérons une bulle de savon de rayon \(R\), enfermant un volume \(V\) d'air et présentant une interface d'aire \(A=2\times 4\pi R^2\). Prenons comme système l'ensemble {volume d'air + membrane de savon}. On impose une température extérieure \(T_0\) et une pression \(p_0\). Dans ce cas, on sait qu'à l'équilibre l'enthalpie libre \(G=U+p_0V-T_0S\) sera minimale.

Bulle de savon enfermant de l'air à la pression p.
Bulle de savon enfermant de l'air à la pression \(p\).

Rappel

Pour une évolution monotherme et monobare, le second principe stipule que \(\Delta S\geq \frac{Q}{T_0}\) et le premier principe \(\Delta U=Q-p_0\Delta V\) si les seules forces extérieures sont les forces de pression. Il est assez facile de montrer alors que \(\Delta G \leq 0\) : l'enthalpie libre décroît jusqu'à atteindre un minimum à l'équilibre.

On détermine donc l'équilibre en résolvant l'équation \(\mathrm{d}G=0\). On a ici \[ \mathrm{d}G=\mathrm{d}U+p_0 \mathrm{d}V-T_0 \mathrm{d}S \] avec, en vertu de l'additivité de l'entropie et de l'énergie \[ \mathrm{d}U=\mathrm{d}U_\text{air}+\mathrm{d}U_\text{membrane} \quad\text{et}\quad \mathrm{d}S=\mathrm{d}S_\text{air}+\mathrm{d}S_\text{membrane} \] Le système est à la température \(T_0\), et l'on note \(p\) la pression de l'air dans la bulle que l'on cherche à déterminer. On a donc \[ \mathrm{d}U_\text{air}=T_0\mathrm{d}S_\text{air}-p \mathrm{d}V \quad\text{et}\quad \mathrm{d}U_\text{membrane}=T_0\mathrm{d}S_\text{membrane}+\gamma \mathrm{d}A \] En rassemblant tous les termes et en remplaçant \(V\) et \(A\) par leur expression, on trouve \[ \mathrm{d}G=\left[(p_0-p)4\pi R^2+16\pi R\gamma\right]\mathrm{d}R \] Ainsi, l'équilibre est obtenu quand \(\mathrm{d}G=0\) soit lorsque \[ \boxed{ p-p_0=\frac{4\gamma}{R}\quad\text{(CQFD)}} \]

Pour en savoir plus...

  1. P-G De Gennes et al. Gouttes, bulles, perles et ondesBelin, 2002.
  2. P. Fleury et al. Mécanique Physique1961.
  3. D. Quéré et al. Les surfaces superhydrophobes Images de la physique - CNRSp.239-244, 2005.
  4. L. Léger L'étalement d'une goutte sur un solide. rôle des forces à longue portée Images de la physique - CNRSp.74-79, 1989.
  5. D. Langevin La coalescence Bulletin de la SFP№115, 1998.